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Au mois d’avril 1793, la Convention avait commencé à tirer de son sein le Comité de Salut Public pour contrôler les ministres, c’est-à-dire pour gouverner directement. Afin que les contrôleurs fussent à leur tour contrôlés, selon la logique du terrorisme, les Conventionnels, sur la proposition de Marat, avaient renoncé à leur inviolabilité. Alors les révolutionnaires purent se guillotiner entre eux.

Marat, « fanatique désintéressé », a été l’homme le plus influent de la Révolution, celui qui l’a menée du dehors avec le plus de suite parce qu’il avait l’instinct démagogique, c’est-à-dire le don de deviner les passions populaires et le talent d’exprimer les haines et les soupçons de la foule de la façon même dont elle les sentait. Marat, écrivain et agitateur, a été un terrible artiste de la démagogie. Il inspirait du dégoût à Robespierre lui-même, mais il était, depuis l’origine, indispensable au progrès de la Révolution dont le développement, — c’est la clef dont on ne doit pas se dessaisir, — était lié à une agitation chronique de la population parisienne, à la possibilité de provoquer des émeutes à tout moment. Camille Desmoulins disait avec raison « qu’il n’y avait rien au-delà des opinions de Marat ». La marche de la Révolution ne s’arrêtera pas le jour même (13 juillet 1793) où Charlotte Corday aura tué ce monstre, mais elle en sera sensiblement ralentie. Délivré de Marat, Robespierre, devenu homme de gouvernement à son tour, aura moins de peine à faire front contre des meneurs subalternes comme Hébert, et, par là, il rendra lui-même possible la réaction de Thermidor.

En attendant, les Girondins avaient compris, que, pour sauver leur propre tête, ils devaient frapper l’homme par qui la Révolution communiquait avec l’anarchie et y trouvait en toute circonstance critique sa force de propulsion. Une de leurs pires illusions, que Danton semble avoir partagée, fut que le tribunal révolutionnaire leur servirait à les délivrer de Marat. Ils obtinrent de l’assemblée qu’elle le mît en accusation. Mais, en le déférant à Fouquier-Tinville et aux jurés parisiens, c’était comme si elle l’avait envoyé se faire juger par lui-même. L’acquittement de Marat fut triomphal et les Girondins reçurent de l’extrême gauche ce nouveau coup.

Le mois d’avril 1793 et les deux mois qui suivirent furent