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personne n’était sûr ni du lendemain ni de son voisin. Dantonistes et robespierristes se disputent encore entre eux sans que le sens de bien des paroles énigmatiques échappées à Danton et à Robespierre ait été percé, sans que leurs arrière-pensées, leurs secrets soient connus. Les vingt-quatre mois de convulsions qui séparent le 10 août du 9 thermidor sont le paroxysme de cette vie des clubs à laquelle les Constitutionnels, puis les Girondins, dans le même calcul et par la même nécessité, avaient laissé libre cours parce que c’était la vie même de la Révolution.

Après le 10 août, les Jacobins, malgré leur victoire, n’étaient pas rassurés : l’armée prussienne envahissait la France. On n’était pas sûr du résultat des élections, et surtout, avant la réunion de l’assemblée nouvelle, les Girondins voulaient que l’usurpation de la Commune eût pris fin. Danton, lié au sort de la Commune insurrectionnelle, ne vit qu’une ressource : terroriser. Ce n’est pas par hasard que les massacres du 2 septembre, précédés de perquisitions domiciliaires et d’arrestations en masse ordonnées par le ministre de la Justice, eurent lieu le jour même où se réunissaient les électeurs parisiens du second degré, et après que, le 30 août, la Législative eût voté que le Conseil de la Commune devait se soumettre à la légalité. Par cette horrible besogne, qui fut leur œuvre, Danton, la Commune insurrectionnelle, les Jacobins se défendaient et prenaient une hypothèque sur la Convention qui, en effet, comme la Législative, représenta une France plus modérée que Paris. Comme la Législative aussi, cette troisième assemblée fut composée en majorité d’hommes timides, plutôt favorables à la Gironde, mais qui, arrivant peu de jours après les massacres des prisons, étaient d’avance épouvantés. Danton, élu à Paris avec Robespierre et Marat lui-même, quitta le ministère après y avoir préparé la prochaine débâcle des Girondins.

Ces événements, vus du dehors, ne manquaient pas de donner l’impression que la France se consumait dans l’anarchie et qu’elle courait à sa perte. En mettant bout à bout les manifestations hideuses ou banales de la démagogie, depuis les massacres en règle jusqu’aux pillages de boutiques et de marchés, on pouvait rédiger des rapports effroyables pareils à celui où Roland exposerait bientôt les effets de ce qu’il appelait avec