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effets. La condition des Français en a été changée dans la mesure où l’a été le rapport des forces européennes, où notre sécurité, acquise péniblement, a été compromise. Ce que la Révolution avait valu aux Français, son reflux lointain le leur enlèverait par morceaux. Ses frontières naturelles, un moment conquises, seraient reperdues. La liberté individuelle serait réduite un jour par la servitude militaire. L’impôt, sous sa forme si longtemps odieuse, la forme personnelle, renaîtrait, ayant changé le nom de taille pour celui d’impôt sur le revenu. Ce cercle, ouvert en 1792, s’est refermé sous les yeux de la génération présente et à ses frais.

Mirabeau avait aperçu, il avait prophétisé à la Constituante que notre âge serait celui de guerres « plus ambitieuses, plus barbares » que les autres. Il redoutait le cosmopolitisme des hommes de la Révolution, qui tendait à désarmer la France ; leur esprit de propagande qui tendait à la lancer dans les aventures extérieures; leur ignorance de la politique internationale qui les jetterait tête baissée dans un conflit avec toute l’Europe ; leurs illusions sur les autres et sur eux-mêmes, car, s’imaginant partir pour une croisade, ils confondraient vite l’affranchissement et la conquête et provoqueraient la coalition des peuples, pire que celle des rois. Mirabeau avait vu juste. Brissot, le diplomate de la Gironde, payait l'Assemblée de paroles. Il comptait que les nations refuseraient de combattre la France révolutionnaire. Il assurait que la Hongrie était prête à se soulever contre les Habsbourg, que le roi de Prusse n’avait pas d’argent pour la guerre, que le « sentiment de la nation anglaise sur la Révolution n’était pas douteux », qu’elle « l’aimait » et que le gouvernement britannique avait « tout à craindre, impossibilité d’acquitter sa dette, perte de ses possessions des Indes… » Moins d’un an après la déclaration de guerre à l’Autriche, l’Angleterre entrait dans la lutte, et cette guerre, la grande, la vraie, qui recommençait dans les conditions les plus défavorables pour nous, elle continuerait encore quand la Révolution serait déjà arrêtée.

Il régnait alors en France une extrême confusion dans les idées, les sentiments, le vocabulaire lui-même. Les « patriotes » étaient ceux qui prêchaient la guerre aux tyrans pour l’amour de humanité et qui, en même temps, provoquaient l’indiscipline