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s’est pas perdu, était d’en souhaiter à ses ennemis. La nôtre fut considérée partout comme une cause d’affaiblissement et l’on s’en réjouit à Londres, à Berlin, à Vienne et à Pétersbourg. « L’Angleterre se persuade qu’elle n’a plus rien à redouter de la France », écrivait notre ambassadeur à Londres. Elle s’en convainquit encore mieux lorsque la Constituante qui, à la différence de la Législative, était pacifique, eut refusé de tenir les engagements du pacte de famille envers l’Espagne à qui les Anglais voulaient prendre, en 1790, la baie de Nootka en Californie. Rien ne pouvait d’ailleurs leur être plus précieux que l’émeute dans nos ports militaires, la désorganisation de notre marine. Toutefois Pitt tenait à rester neutre pour surveiller la Russie : Catherine calculait notre déchéance pour réaliser ses desseins, non seulement sur la Pologne, mais sur Constantinople. La Prusse était la plus joyeuse. « C’est le moment, écrivait Hertzberg à Frédéric-Guillaume, dès le mois de juillet 1789. Voilà une situation dont les gouvernements doivent tirer parti. » La Prusse comptait bien être délivrée de la surveillance que la monarchie française exerçait en Europe en vertu des traités de Westphalie et elle jouait deux cartes : un agrandissement sur le Rhin ou le partage final de la Pologne. Il n’est pas douteux que des agents prussiens aient pris part aux journées révolutionnaires. « Le roi de Prusse, à Paris, travaillait les révolutionnaires contre l’Autriche, armait Léopold II à Vienne contre les Français. » (Émile Bourgeois). L’empereur, frère de Marie-Antoinette, en dépit des relations des deux cours, de la politique commune que les Habsbourg et les Bourbons pratiquaient depuis une quarantaine d’années, n’était pas le dernier à peser la situation : « Il ne s’agit pas de prodiguer notre or et notre sang pour la remettre (la France) dans son ancien état de puissance. » Et ce n’est pas le seul jour où le frère de Marie-Antoinette ait dit le fond de sa pensée. Albert Sorel a traité d’« auguste comédie » les gestes et les paroles des rois en face de la Révolution. Comédie fort sinistre, action changeante et double : l’émigration fut un jouet entre leurs mains et ils s’en servirent pour exciter la France révolutionnaire, préférant que ce fût d’elle que la guerre vînt. Ils ont délibérément sacrifié la famille royale de France à leurs intérêts, comme les émigrés, ardents à confondre la cause de la