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Ce jour-là, les meneurs tremblèrent et crurent bien la partie perdue pour eux. Encore un peu de vigueur, et les démagogues rentraient sous terre. Ils furent rassurés quand ils virent que les Constitutionnels ne recherchaient pas les responsables, n’osaient même pas fermer le club des Jacobins qu’ils abandonnèrent pour en ouvrir un autre, celui des Feuillants. L’énergie des modérés s’était arrêtée après la fusillade du Champ-de-Mars et il est facile de comprendre pourquoi les membres de la droite, les émigrés eux-mêmes, vers lesquels les Constitutionnels se tournèrent alors, ne répondirent pas à leurs ouvertures : ces velléités de résistance ne donnaient confiance à personne. En effet, il ne demeura que six députés aux Jacobins, mais le club resta l’âme de la Révolution. Il fallait abattre l’extrême-gauche ou en subir le joug. La gauche constitutionnelle, une fois séparée de l’extrême-gauche sans l’avoir écrasée, n’eut pas plus de jours à vivre que sa constitution.

Il est donc inutile de s’arrêter à cette œuvre mort-née qui fut pourtant acceptée par Louis XVI et à laquelle il prêta serment. Ce serment, il le tint, contre l’attente de ses ennemis. Ceux qui avaient dans l’esprit de conduire la Révolution jusqu’au bout, c’est-à-dire de détruire la monarchie, devront trouver un autre prétexte pour la renverser.

Barnave avait dit au mois de juillet 1791 : « Si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger. » Le 30 septembre, la Constituante tint sa dernière séance devant Louis XVI à qui le président Thouret adressa cette parole mémorable, monument des illusions humaines : « Sire, Votre Majesté a fini la Révolution. » Seul le premier acte en était fini. La Constituante, avant de se séparer, avait pris une résolution par laquelle le drame allait rebondir : elle avait décidé que ses membres ne seraient pas rééligibles. Étrange sacrifice, qu’on attribue au désintéressement, à une affectation de vertu, à de la naïveté, mais dont la raison véritable était sans doute que cette Assemblée, issue des États Généraux où les trois ordres étaient représentés, signifiait qu’ayant détruit ces ordres, elle coupait le dernier lien qui la rattachait à l’ancien régime. Ayant fait table rase du passé, elle-même devait disparaître à son tour. Tout cela était rationnel, comme l’était l’œuvre entière de la Constituante. Mais les réalités pren-