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Cet événement acheva de déterminer Louis XVI. Il quitta les Tuileries dans la nuit du 20 juin avec sa famille pour rejoindre Bouillé à Montmédy. Reconnu à Varennes, le roi fut arrêté et ramené à Paris.

Cette fuite avait été bien mal calculée. Bouillé était à peine sûr de ses troupes, travaillées par les Jacobins qui le haïssaient et le soupçonnaient. Si Louis XVI avait voulu sortir de France, émigrer comme Monsieur — le futur Louis XVIII, — qui gagna sans encombre la Belgique, il aurait pu échapper aisément. Revenu à Paris, plus que jamais prisonnier, il lui restait la ressource d’abdiquer, de sauver sa tête en renonçant au trône. Cette idée ne lui vint à aucun moment ; un roi de France n’abdiquait pas. Ni Charles VII ni Henri III, dans des circonstances peut-être pires, n’avaient abdiqué.

D’ailleurs l’épisode de Varennes avait eu pour effet de rendre Louis XVI plus précieux à ceux qu’on appelait les Constitutionnels. Sans roi, quelque réduit qu’ils eussent rendu le rôle de la royauté, la Constitution qu’ils achevaient tombait par terre et ils tombaient avec elle. La fuite du roi avait accru l’audace des extrémistes qui demandaient la déchéance de Louis XVI. Si la monarchie disparaissait, ce serait le triomphe des plus violents. Les Constitutionnels, qui croyaient toucher au port et fermer l’ère des révolutions, craignirent une anarchie sans fin. Ils commencèrent aussi à redouter que l’extrême-gauche, dont ils s’étaient jusque-là servis comme d’une avant-garde, fût victorieuse. Ils eurent donc plus d’égards pour la royauté, moins de complaisances pour la démagogie. Ce fut comme une halte de quelques mois, un essai de réaction contre le désordre, sans lendemain.

Le 15 juillet, la majorité de l’Assemblée avait décidé que, le roi étant inviolable, l’affaire de Varennes ne comportait pas de suites. Le 16, des Jacobins déposèrent au Champ-de-Mars, sur l’autel de la patrie, une pétition qui réclamait la déchéance, et ils organisèrent contre l’Assemblée une manifestation que les meneurs se chargeaient de tourner en émeute. Cette fois, qui fut la seule, l’Assemblée tint tête. Elle proclama la loi martiale. La Fayette lui-même ordonna de tirer sur la foule qui refusait d’obéir aux sommations. Il y eut trois ou quatre cents morts et blessés à l’endroit même où l’on fraternisait un an plus tôt.