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tant même affilié aux Jacobins. Il voulait utiliser le prestige que la royauté possédait encore, préparer de prochaines élections pour obtenir une Assemblée d’opinions moins avancées, réviser la constitution dans un sens raisonnable et qui ne diminuât pas à l’excès le pouvoir. Mirabeau n’était pas seul à former des projets de cette nature. Pour les exécuter, il fallait s’appuyer sur quelque chose, puisque les Jacobins s’appuyaient sur l’émeute. Mirabeau songeait depuis longtemps à arracher le roi et l’Assemblée à la pression de la démagogie parisienne. On n’y parviendrait qu’en protégeant cette espèce de retraite par une force armée, mais on ne pouvait pas compter sur la garde nationale et, d’ailleurs, La Fayette, pressenti, avait refusé. Restait l’armée régulière. Bouillé, le chef que la répression de Nancy avait mis en évidence, proposa un plan d’après lequel Louis XVI viendrait le rejoindre à Montmédy, après quoi il serait possible de réunir ailleurs qu’à Paris une Assemblée nouvelle.

Personne ne peut dire ce que ce plan aurait donné si Mirabeau avait vécu. Aurait-il obtenu de l’Assemblée l’autorisation de laisser partir le roi, sous un prétexte quelconque, pour une place de la frontière ? Aurait-il même persisté dans ses projets ? Le secret n’avait pu être gardé, et les Jacobins, mis en éveil, réclamaient déjà des mesures contre l’émigration et les émigrés. En tout cas, Mirabeau mourut, après une brève maladie, le 2 avril 1791. Ses relations avec la Cour étaient connues. On lui reprochait tout haut d’en avoir reçu de l’argent pour payer ses dettes. En dépit des funérailles solennelles qui lui furent faites, son crédit avait déjà baissé sous les violentes attaques de Desmoulins et de Marat. Il est probable qu’il aurait été bientôt réduit à se défendre : il avait prévu lui-même « l’ostracisme ». Il disparut. Ses plans, déjà peu sûrs lorsque son influence s’exerçait, devenaient bien aventureux. Cependant Louis XVI et Bouillé y persistèrent, virent même dans la mort de Mirabeau une raison de plus d’échapper à la tyrannie parisienne : le 18 avril, une émeute avait empêché le roi d’aller à Saint-Cloud, et un bataillon de la garde nationale, celui de Danton, avait tenu en échec La Fayette accouru pour dégager les Tuileries. Le roi, malgré la Constitution, n’était plus libre. Le parti constitutionnel était impuissant à protéger sa liberté.