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fut qu’un an plus tard, sur ce même Champ-de-Mars, où il avait été acclamé, où les Français s’étaient embrassés, La Fayette faisait tirer sur la foule…

Depuis la fête de la Fédération, depuis cette halte illusoire jusqu’en 1791, le désordre, en effet, ne cessa de s’aggraver. Ce n’étaient plus seulement des bureaux d’octroi qui étaient mis au pillage. Il n’y avait plus seulement la jacquerie. Les mutineries militaires apparurent. Elles avaient déjà commencé depuis longtemps dans les ports de guerre et notre ambassadeur à Londres signalait qu’il était agréable à l’Angleterre que notre marine fût désorganisée par des troubles. L’Assemblée avait fermé les yeux sur ces désordres, même sur ceux, particulièrement graves, qui étaient survenus à Toulon. Au mois d’août 1790, il fallut reconnaître que l’indiscipline gagnait l’armée. Trois régiments s’étant révoltés à Nancy, l’Assemblée cette fois s’émut et chargea de la répression Bouillé qui commandait à Metz. La répression fut sévère et, pour les journaux « patriotes », les mutins du régiment de Châteauvieux devinrent des martyrs. L’exemple de Nancy, l’énergie de Bouillé arrêtèrent la décomposition de l’armée, mais l’Assemblée intimidée par la presse, n’osa plus sévir. Une insurrection générale des équipages, qui éclata bientôt à Brest, n’eut pas de sanction. En peu de temps, la discipline fut ruinée dans les escadres et dans les arsenaux. Des attentats eurent lieu contre les officiers eux-mêmes dont une grande partie émigra, abandonnant « des postes où il n’y avait plus ni honneur ni sécurité ». Bientôt la Révolution sera en guerre contre l’Angleterre, et sa marine ne pourra plus, comme le Vengeur, que se laisser couler. Bouillé a du moins rendu le service de conserver debout l’ancienne armée dont la Révolution ne devait pas tarder à avoir besoin.

« Cent folliculaires dont la seule ressource est le désordre, une multitude d’étrangers indépendants qui soufflent la discorde dans tous les lieux publics, une immense populace accoutumée depuis une année à des succès et à des crimes. » C’est Mirabeau qui peignait en ces termes l’état de Paris à la fin de l’année 1790, trois mois après la retraite définitive de Necker, le sauveur d’autrefois parti sous les huées. Mirabeau entreprit alors de modérer la Révolution sans rompre avec elle, en res-