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lorsqu’ils prétendirent, comme s’il n’y avait rien de changé, enregistrer les décrets de l’Assemblée Nationale de la même façon qu’ils enregistraient les édits royaux. On leur fit voir qu’ils rêvaient. Ils furent supprimés et l’on n’en parla plus.

Vers la fin de l’année 1789, bien peu de mois s’étaient écoulés depuis que les États Généraux s’étaient réunis. Déjà tant de choses avaient été transformées qu’un simple retour en arrière n’était plus possible. La résignation de Louis XVI aux événements a paru inexplicable. Son invincible aversion pour la manière forte n’est même pas l’unique raison de sa passivité. Mais l’auteur de Télémaque et le sage Mentor en personne eussent été aussi embarrassés que lui. Imaginons qu’à un moment quelconque un coup de force eût chassé l’Assemblée. Quelle sorte de gouvernement y aurait-il eu ? Le roi eût-il relevé ces Parlements, restauré ces provinces à privilèges, ces pays d’États dont l’opposition ou les résistances avaient tant gêné la monarchie ? Les anciennes institutions d’origine historique, ranimées par le roi lui-même, avaient été renversées par les États Généraux, institution d’origine historique aussi. Comment sortir de là ? Cette difficulté, cette contradiction paralysaient Louis XVI depuis le début de son règne. Peut-être avait-il fini par penser, comme le pensèrent des hommes qui avaient vu les embarras du gouvernement avant 1789, qu’après tout, ce qui disparaissait avait voulu et appelé son sort. Cependant, il fallait remplacer ce qui était détruit. La constitution que l’Assemblée élaborait devait tenir lieu des coutumes, des droits traditionnels, des lois fondamentales dont se composait ce que les légistes appelaient l’ancienne Constitution du royaume. On comptait y ménager le rôle et l’avenir de la monarchie, dont le principe n’était même pas discuté. En 1789, selon le mot de Camille Desmoulins, il n’y avait pas dix républicains en France.

Mais il ne s’agissait pas seulement de donner au royaume une forme de gouvernement et de choisir entre les théories constitutionnelles à la mode. Il s’agissait aussi de gouverner en constituant. Tout en construisant les étages de sa Constitution, l’Assemblée gouvernait et les mesures qu’elle prenait devaient avoir des répercussions qu’elle ne calculait pas. De plus, il fallait compter avec les ambitions personnelles, les