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pour celles du progrès et même, ou peu s’en faut, de la liberté. C’était pourtant un despote, un souverain absolu et plus autoritaire que tous les autres. Sa méthode c’était le militarisme, le caporalisme, le dressage prussien, le contraire du gouvernement libéral. Il a fallu plus d’un siècle pour qu’on s’en aperçût.

Après Rosbach, Bernis eut l’intuition que la guerre d’Allemagne était perdue, et que mieux vaudrait nous en retirer. Au conseil, l’avis opposé prévalut. La campagne fut continuée toute l’année 1758, mélangée pour nous de succès et de revers, sans résultats. Frédéric tenait toujours tête aux Autrichiens et aux Russes. Il semblait pourtant impossible qu’à la fin il ne fut pas écrasé. Encore un effort, et la coalition viendrait à bout de la Prusse. Ce fut la thèse que soutint Choiseul, partisan de l’alliance autrichienne, et il quitta son ambassade pour succéder à Bernis découragé.

Résolu à poursuivre la guerre, Choiseul eut une idée juste. Rien ne serait obtenu tant que nous serions impuissants sur mer. Pour cesser de l’être, il ne fallait pas seulement renforcer nos escadres autant qu’on le pouvait au milieu des hostilités, mais acquérir des alliés maritimes. L’Espagne, quoique déchue, comptait encore, Naples était une bonne position dans la Méditerranée et des Bourbons régnaient à Madrid et à Naples comme à Paris. En aidant à leur donner ces royaumes, la France ne devait pas avoir travaillé en vain. Le pacte de famille ajouté à l’alliance autrichienne, ce fut la politique de Choiseul.

Si l’idée était juste, elle venait trop tard. Choiseul eut aussi le tort de voir trop grand. Il organisa une descente en Angleterre, mais la flotte anglaise, qui bloquait nos côtes depuis longtemps, battit à Lagos l’escadre de Toulon qui tentait de rejoindre Brest et, dans le Morbihan, la « journée de M. de Conflans » fut un désastre égal à celui de la Hougue. Une diversion de nos corsaires en Irlande fut inutile. Et le pacte de famille lui-même, signé en 1761, ne servit à rien pour cette fois. L’Espagne n’était pas prête et les Anglais en profitèrent pour s’emparer des colonies espagnoles. Ayant les mains pleines, maîtres de nos îles bretonnes, ils commençaient cependant à se lasser, comme en 1711, des lourdes dépenses de la guerre. Pitt tomba et les tories pacifiques revinrent au pouvoir.