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nous devions avoir Frédéric pour ennemi. Dans les deux cas, l’Angleterre, avec qui nous n’avions rien réglé, avec qui notre rivalité coloniale continuait, trouvait un soldat sur le continent. Voilà ce que nous avait coûté l’erreur du parti de Belle-Isle, l’anachronisme de la lutte contre la maison d’Autriche. La politique française avait perdu sa clarté. Elle avait cessé d’être intelligible à la nation et elle l’était à peine, dans cette masse de contradictions, pour ceux qui dirigeaient les affaires et qui avaient besoin avant tout de retrouver une ligne de conduite. L’extrême complexité d’une Europe et d’un monde qui se transformaient tous les jours aggravait le conflit des opinions et des théories, et ce conflit rendait lui-même plus difficile la tâche de notre politique, ouvrait la porte aux intrigues et aux intrigants. C’est dans cette confusion que se forma le célèbre « secret du roi », superposition d’une diplomatie à une autre, surveillance d’une diplomatie par une autre. Il faudra encore du temps avant que le désordre causé par la folle guerre de la succession d’Autriche soit réparé et que la politique française retrouve une méthode.

Rien de plus singulier d’ailleurs que l’état des esprits en France au milieu du dix-huitième siècle. Jamais il n’y a eu autant de bien-être chez nous qu’en ce temps-là. Jamais la vie n’a été aussi facile. Nous pouvons en juger par la peinture, le mobilier, les constructions, les monuments et les travaux publics eux-mêmes. Si l’État, à la suite de la guerre, est tombé dans de nouveaux embarras financiers, ces embarras n’ont rien de tragique et la France en a vu de pires. Dans l’ensemble, ce dont les Français ont à se plaindre n’est que le pli d’une feuille de rose en comparaison de tant de calamités qu’ils ont subies ou qu’ils subiront. On est frappé de l’insignifiance de leurs sujets de mécontentement. Mais on est frappé d’autre chose. Les écrivains demandent des réformes. L’administration, qui devient tous les jours plus régulière, travaille à les accomplir, et elle se heurte à une opposition générale parce qu’il est impossible de rien réformer sans froisser des intérêts. Le Parlement résiste à l’autorité, refuse d’enregistrer les impôts, comme sous la Fronde. Et ces impôts quels sont-ils ? Ce sont des taxes de guerre, c’est, après le « dixième » provisoire, le « vingtième » permanent institué par le contrôleur général Machault