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des richesses d’outre-mer, et cet état d’esprit, personne ne l’a mieux exprimé que Voltaire par son mot célèbre sur les arpents de neige du Canada. L’intérêt allait toujours aux mêmes questions, pourtant réglées successivement par les traités de Westphalie, des Pyrénées et d’Utrecht. On était sûr d’exciter une fibre chez les Français en leur parlant de la lutte contre la maison d’Autriche. Cette lutte n’avait plus de raison d’être, mais la tradition était plus forte que la raison. Il y avait un parti nombreux, éloquent, pour qui l’ennemi n’avait pas changé et le gouvernement qui recommençait à combattre les Habsbourg était sûr d’être populaire. À cet égard aussi, la Régence, en cherchant, pour les raisons que nous avons vues, les bonnes grâces de l’opinion, greva le règne de Louis XV.

Au moment où ils moururent, le Régent et le cardinal Dubois avaient changé de front. Ils étaient entrés dans une nouvelle triple alliance, franco-anglo-espagnole, celle-là, contre l’empereur Charles VI qu’il s’agissait de chasser d’Italie pour y installer les Bourbons d’Espagne. L’Angleterre s’était mise de la partie, sans respect pour le traité d’Utrecht, afin de ruiner les entreprises maritimes de Charles VI à Ostende, à Trieste et à Fiume. Habilement, elle avait marchandé son concours et l’avait donné à condition que la France renonçât à son commerce en Espagne. Ainsi la politique anglaise suivait son dessein, qui était de supprimer toutes les concurrences navales et commerciales en exploitant les divisions, les ambitions et les erreurs des puissances européennes. Ce projet, arrêté par la mort de ceux qui, en France, l’avaient conçu, ne fut pas mis à exécution, mais il ne manqua pas de conséquences. Pour sceller la réconciliation des maisons de France et d’Espagne, Dubois et le Régent avaient arrangé un mariage entre Louis XV et une infante de cinq ans. Exprès ou non, c’était retarder le moment où la couronne aurait un héritier. Il est donc difficile de blâmer sur ce point le duc de Bourbon qui, devenu premier ministre après la mort du Régent, défit ce que celui-ci avait fait, renvoya à Madrid la jeune infante, ce dont se fâcha Philippe V qui se réconcilia avec l’empereur : mais cette réconciliation était plus conforme à nos intérêts qu’une guerre où l’Espagne et l’Autriche, qui nous étaient utiles l’une et l’autre, se seraient épuisées, et nous avec elles, au bénéfice de l’Angleterre