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étaient les défenseurs attitrés. Lorsque, après Louis XIV, les « cours souveraines » sortiront de leur sommeil, leur résistance aux impôts sera acharnée. De là, sous Louis XV, ces luttes entre le pouvoir, qui s’efforcera de restaurer les finances, et les magistrats opposés aux « dixièmes » et aux « vingtièmes ». Ainsi les idées dans lesquelles Fénelon avait élevé le duc de Bourgogne allaient contre celles de Vauban. Elles mettaient l’obstacle sur la route. Il importe de noter dès à présent cette contradiction essentielle pour saisir le caractère des difficultés intérieures qui se poursuivront tout le long du dix-huitième siècle.

C’est pour d’autres raisons que Louis XIV, à la fin de son règne, pensa que le retour des désordres qui en avaient rendu les débuts si incertains n’était pas impossible. Dans son esprit, ce qui était à redouter, c’était une nouvelle Fronde. Une minorité viendrait après lui. Son fils et son petit-fils étaient morts. L’héritier ? Un « enfant de cinq ans qui peut essuyer bien des traverses », disait le roi à son lit de mort. Il dit aussi : « Je m’en vais, mais l’État demeurera toujours. »

Si Louis XIV n’a pas fondé l’État, il l’a laissé singulièrement plus fort. Il en avait discipliné les éléments turbulents. Les grands ne songeaient plus à de nouvelles ligues ni à de nouvelles frondes. Pendant cinquante ans, les Parlements n’avaient ni repoussé les édits ni combattu les ministres ou le pouvoir. Il n’y avait plus qu’une autorité en France. Les contemporains surent parfaitement reconnaître que la force de la nation française, ce qui lui avait permis de résister aux assauts de l’Europe, venait de là, tandis que le roi d’Angleterre devait compter avec sa Chambre des Communes, l’empereur avec la Diète de Ratisbonne et avec l’indépendance des princes allemands garantie par les traités de Westphalie.

Tout ne marchait pas aussi bien dans le royaume de France que l’avait rêvé Colbert dont les vastes projets d’organisation n’avaient pu être réalisés qu’en partie, les grandes tâches extérieures s’étant mises en travers. Du moins la France avait l’ordre politique sans lequel elle n’eût pas résisté à de si puissantes coalitions, ni résolu à son profit les questions d’Allemagne et d’Espagne. On a dit que Louis XIV n’avait laissé que les apparences de l’ordre, parce que, trois quarts de siècle après