Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/477

Cette page n’a pas encore été corrigée

moment-là, avant de lui reprocher d’avoir été plus tard téméraire. Ils disent qu’en 1668 la France pouvait s’étendre d’un coup jusqu’à Anvers, c’est-à-dire écraser dans l’œuf la future Belgique. Louis XIV jugea mieux qu’eux. Il savait que l’Angleterre n’avait renoncé à Calais qu’à contre cœur et nous souffrait difficilement à Dunkerque. À Anvers, c’était une hostilité certaine et la politique française avait besoin que l’Angleterre restât neutre pour exécuter un plan qui n’était, en somme, que le plan de sécurité de Vauban. Les Français de cette époque rêvaient peu, ou leur imagination était réaliste. Ils se souciaient moins d’agrandir leur pays que de le protéger. La possession de Lille leur apparaissait surtout comme celle d’une bonne place de couverture. À chaque ville prise, Vauban creusait des fossés, construisait des courtines et des demi-lunes, et, depuis, ses travaux ont servi chaque fois que nous avons été attaqués. On comprend que Louis XIV ait écouté distraitement Leibniz qui lui conseillait de laisser les bicoques de la Meuse et de l’Escaut pour conquérir l’Égypte et l’Inde. On a même écrit avec dédain que la politique de Louis XIV avait été d’esprit terrien, c’est-à-dire terre à terre. On veut dire que, malgré le style ample du siècle et la manière majestueuse dont Louis XIV a parlé de sa gloire, cette politique était celle du bonhomme Chrysale, qui préférait la bonne soupe au beau langage.

Nous nous sommes étendu sur la première grande opération politique et militaire que Louis XIV ait entreprise parce que le reste y est en germe. Que résultait-il de cette expérience ? Que, pour compléter la France du nord, il fallait venir à bout des Hollandais. Pour venir à bout des Hollandais, il fallait d’abord dissoudre leurs alliances. Le Stuart fut repris en main. Pour la Suède, on mit l’enchère sur les florins de la Hollande. Les princes allemands furent en grand nombre gagnés par des subsides et nous étions comme chez nous chez notre allié l’électeur de Cologne. C’est ainsi qu’en 1672 la Hollande put être envahie par une puissante armée française. Cette campagne, qui s’annonçait comme facile, fut pourtant le début d’une grande guerre qui dura six ans.

Tout eût peut-être été fini en quelques semaines si, par un excès de prudence, nous n’étions arrivés trop tard à Muyden où se trouvaient les principales écluses. La Hollande s’inonda