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surintendant Fouquet, plus riche, presque aussi puissant que le roi lui-même. Fouquet avait édifié une immense fortune aux dépens des finances publiques, à l’exemple du cardinal qui avait au moins, pour excuse à ses voleries, les services rendus à la nation. Louis XIV, au lendemain de la mort de Mazarin, avait pris lui-même la direction des affaires, travaillant avec ses ministres, ne déléguant son autorité à aucun d’eux. Il redoutait le surintendant qui avait de grands moyens financiers, une nombreuse clientèle, un cortège de protégés, des amis partout, dans l’administration, dans le monde, chez les gens de lettres. De plus, Fouquet selon une habitude qui remontait au temps des guerres civiles, avait acquis à Belle-Isle un refuge, une place forte d’où il pouvait, en cas de disgrâce et de malheur, tenir tête au gouvernement. C’est ce dangereux personnage politique, aspirant au rang de premier ministre, que le roi voulut renverser. Ce serait le signe qu’il n’y aurait plus ni maire du palais ni grand vizir et que nul n’aurait licence de s’enrichir à la faveur du désordre et aux frais de l’État. La dissimulation et la ruse avec lesquelles Louis XIV procéda avant d’arrêter le surintendant montrent qu’il le craignait et qu’il n’était pas sûr de réussir. Fouquet brisé plus facilement qu’on n’avait cru, la chute, acclamée par la France, de cette puissance d’argent qui aspirait à la puissance politique : l’exemple fut retentissant et salutaire. Rien désormais ne s’opposa plus à Louis XIV.

Vingt-cinq ans plus tard, le même courant conduisait, poussait à la révocation de l’Édit de Nantes. On ne saurait séparer cette affaire des autres affaires religieuses du même temps. Ce qui devint peu à peu persécution du protestantisme s’apparente étroitement aux conflits avec la papauté, conflits qui aboutirent à la fameuse déclaration des droits de l’Église gallicane, en 1682, tandis que la révocation est de 1685. Les contemporains étaient hantés par le souvenir des guerres de religion. En mémoire de la Ligue, l’autorité du pape, hors les choses de la foi, leur semblait un péril. Le jansénisme, qui avait trempé dans la Fronde, était mal vu. Pour la même raison, la dissidence des Protestants, qui vivaient cependant en repos, éveillait des appréhensions constantes. C’est une erreur de croire que le besoin d’unité morale, qui mena à la révocation,