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plus violente encore parce que le pouvoir était plus faible et que le deuxième cardinal était un étranger. Depuis trente années et même plus, car l’origine remonte à Concini, le régime de la France avait été celui du « ministériat », le gouvernement, au nom du roi, par un ministre. Ce régime a été bon pour la France puisque, sous deux hommes de premier ordre, il nous a donné frontières, sécurité, prestige en Europe. Cependant les Français ne s’en sont pas accommodés. Ce régime leur déplaît, les froisse. Et puisqu’il n’est pas supporté, puisqu’il cause de si violentes séditions, il est dangereux, il ne faut pas qu’on y retombe. D’autre part si la France dit ce qu’elle ne veut pas, elle ne dit pas non plus ce qu’elle veut. Le mot de République, quelquefois prononcé pendant la Fronde, reste sans écho. Puisque la France est exténuée par l’anarchie, puisqu’elle a eu peur d’un autre abîme, comme au temps de la Ligue, puisqu’elle veut un gouvernement qui gouverne et qui ne soit pas celui d’une sorte de grand vizir, il ne reste qu’une solution : le gouvernement personnel du roi. Voilà comment le règne de Louis XIV est sorti de la Fronde.

De 1653 à 1661, cette pensée mûrit. Louis XIV, qui devient homme, réfléchit, forme ses idées. C’est une transition où se prépare ce qui va suivre. Le calme revient, l’autorité se rétablit et cette autorité sera celle du roi. Le changement qui se produit et le besoin de l’époque ont été admirablement rendus par la légende. Louis XIV n’est pas entré au Parlement un fouet à la main. Il n’a pas dit : « L’État c’est moi. » C’est pourtant le sens de son avertissement aux magistrats, toujours démangés de désobéissance, lorsque, ayant appris qu’ils refusaient d’enregistrer des édits présentés par lui le même jour, il revint en hâte de la chasse et leur parla un langage sévère. Mais le mot « l’État c’est moi », était celui de la situation. Il sera vrai quelques années plus tard. Il ne l’était pas encore lorsque le Roi n’avait que dix-sept ans et Mazarin dut calmer le Parlement, toujours pénétré de son importance et fâché de l’algarade.

L’étonnant, c’est que, dans sa grande faiblesse, la France ait pu continuer sa politique et en finir avec la guerre d’Espagne. Il est vrai que, prêté pour rendu, Mazarin soutenait la révolution du Portugal comme les Espagnols aidaient la