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nombreuses et trop criantes. Il en résulta que le mandat impérial souffrit du même discrédit qui de nos jours, en France, a fini par atteindre le mandat législatif. L’Empereur, cette « moitié de Dieu », fut frappé d’une diminution de même nature que celle à laquelle nos parlementaires n’ont pas échappé. La faiblesse et l’anarchie sans cesse aggravées dans lesquelles tombait l’Empire n’étaient d’ailleurs pas faites pour valoir aux Empereurs la gratitude ni l’admiration des peuples.

La monarchie élective, la présidence à vie, qui ont fait tour à tour le malheur de la Bohême, de la Hongrie, de la Pologne, n’ont pas mieux réussi à l’Allemagne. Elles l’ont terriblement affaiblie, sans lui apporter cet équilibre entre l’autorité et la liberté qui a fait recommander quelquefois ce système et lui a valu des partisans. « L’influence de la couronne, dit encore James Bryce, ne fut pas tempérée mais détruite. Chaque candidat fut forcé à son tour d’acheter son titre par le sacrifice de droits que possédaient ses prédécesseurs et dut recourir encore, un peu plus tard dans son règne, à cette politique ignominieuse pour assurer l’élection de son fils. Sentant, en même temps, que sa famille ne pouvait s’asseoir solidement sur le trône, il en usait comme un propriétaire viager fait de ses terres, cherchant uniquement à en tirer le plus large profit actuel. Les électeurs, ayant conscience de la force de leur position, s’en prévalurent et en abusèrent… » Abus tout naturel : l’homme a peu de tendance à respecter l’autorité qu’il a faite. C’est pourquoi Ænëas Sylvius pouvait dire avec ironie aux Allemands : « Vous avez beau appeler l’Empereur votre roi et votre maître, il ne règne qu’à titre précaire. Il n’a aucune autorité. Vous ne lui obéissez qu’autant que vous le voulez bien, et vous le voulez extrêmement peu. »

Le plus grand mal datait du jour où un Empereur animé de louables intentions avait cru tirer l’Allemagne du désordre en lui apportant une Constitution. Car l’esprit constitutionnel, lui non plus, ne date pas du dix-neuvième siècle. Charles IV, en 1356, s’imagina de bonne foi qu’en donnant à l’Empire une Charte, un papier bien en règle, il lui assurerait la tranquillité et la puissance. Il avait voulu mettre fin à de vieilles contestations en stipulant une fois pour toutes le nombre et les pouvoirs des électeurs, le lieu et le cérémonial de l’élection. En réalité, il