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chie comme une idylle qui a brusquement pris fin sur l’échafaud le 21 janvier 1793, que de s’imaginer, comme les historiens révolutionnaires, un peuple français courbé, des siècles durant, dans l’obéissance, qui aurait enfin, voilà cent vingt ans, relevé la tête et, comme dit M. Clemenceau, attendu ce moment pour « régler un terrible compte avec le principe d’autorité. »

Les causes pour lesquelles la monarchie héréditaire n’avait pu, jusqu’à nos jours, s’établir en Allemagne, sont évidentes et simples. Le grand Interrègne allemand a duré, selon une juste remarque, de 1250 à 1870. C’est qu’une grande monarchie germanique faisait peur, et avec raison, à beaucoup de monde. C’est que des forces nombreuses étaient toujours prêtes à se coaliser avec succès pour empêcher qu’il y eût une Allemagne unie et puissante sous un seul sceptre. « Pas de roi d’Allemagne », disaient les princes allemands. Et c’était aussi la pensée des rois de France « Pas de roi d’Allemagne. » L’intérêt de la France ne voulait pas qu’il y eût un chef héréditaire pour rassembler les masses germaniques. Cette idée était tout à fait claire chez nos écrivains politiques de l’ancien temps. Pierre Dubois (un de ces « légistes » qui tenaient, en somme, l’emploi des grands journalistes et des grands orateurs d’aujourd’hui, qui étaient des conseillers du pouvoir et des guides de l’opinion), Pierre Dubois était extrêmement précis à cet égard. Cet élève de saint Thomas d’Aquin, ce contemporain de Dante, tenait (cela peut se dire sans rien forcer), le même langage que Thiers en 1867. Mais il l’a tenu utilement. Il craignait pour la France l’unité de l’Allemagne et cette unité lui apparaissait comme étant en rapport direct avec l’établissement dans les pays germaniques d’une puissante royauté construite sur le modèle capétien. « Ne laissons pas faire cela, ou nous sommes perdus », était sa conclusion. Pierre Dubois est à juste titre admiré de Renan qui a vu en lui « vraiment un politique », le premier qui ait exprimé nettement « les maximes qui, sous tous les grands règnes, ont guidé la couronne de France ».

Cette conspiration des ennemis d’un pouvoir stable et fort en Allemagne, ennemis de l’intérieur, ennemis de l’extérieur, eut pour effet de cristalliser l’Empire, pour de longues séries d’années, dans une anarchie de pompeuse apparence. Le Saint Empire romain de nation germanique a été défini une « répu-