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D’ailleurs le temps pressait. Il fallait se décider. Il fallait agir. On savait que les huguenots allaient venir en corps accuser les Guise devant le roi. Charles IX se vit entre deux périls et ses dernières hésitations furent vaincues.

Loin qu’il y ait eu préméditation dans la Saint-Barthélemy, on y distingue au contraire l’effet d’une sorte de panique. Les objections du roi étaient celles d’un homme qui ne voit que dangers à tous les partis qu’on lui soumet. Un autre trait révélateur, c’est que Charles IX commença à se décider lorsque Gondi lui eut suggéré que le roi pourrait dire à la France : « Messieurs de Guise et de Châtillon se sont battus. Je m’en lave les mains. » Ce n’était pas héroïque, mais cette anxiété, cette prudence, ce soin de se couvrir de tous les côtés montrent que Charles IX avait le sentiment que le sort de la monarchie et de l’État se jouait. Michelet convient que, dans le conseil royal, l’hypothèse qui parut la plus redoutable (et elle se réalisera plus tard avec la Ligue) fut celle où un grand parti catholique s’organiserait et se dresserait contre la monarchie compromise avec le parti protestant. L’expérience devait prouver que la raison était forte. Par elle se décida le coup.

Il n’y eut pas besoin qu’on excitât Paris. Non seulement Coligny et les chefs, mais tous les protestants furent massacrés avec une fureur enthousiaste. Paris avait de vieilles rancunes, à la fois religieuses et politiques. Le petit commerce parisien reprochait aux huguenots de faire du tort aux « affaires » par leurs guerres civiles. Jusque dans le Louvre, on tua les gentilshommes protestants, et il y avait parmi eux les plus beaux noms de France. Charles IX eut peine à sauver son beau-frère et Condé, qu’il voulait épargner, non seulement par sentiment de famille, mais aussi pour garder quelqu’un à opposer aux Guise. Le vrai sens de la fameuse journée est là. Plus tard, dans ses Considérations sur les coups d’État, Gabriel Naudé écrira que celui de 1572 était resté « incomplet » parce que les princes lorrains n’avaient pas subi le même sort que les Châtillon.

Avec passion, les provinces avaient suivi l’exemple de Paris. Un peu partout les protestants furent tués en masse, comme si les catholiques n’eussent attendu que ce signal et l’autorité intervint pour modérer cette ardeur plutôt que pour exciter au