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pagne n’aimait pas ce Flamand et il avait eu à vaincre l’insurrection des comuneros. Une partie de l’Allemagne avait passé à Luther et les princes protestants défendaient leur indépendance, les libertés germaniques, contre les projets d’unification de l’empereur. Enfin, menaçant l’Empire, par la Hongrie, il y avait les Turcs, déjà sur la route de Vienne. Pour se défendre contre la puissance germanique, la France devra toujours chercher des alliés dans l’Europe centrale et dans l’Europe occidentale. Les princes protestants, les Turcs étaient des auxiliaires qui s’offraient. Une politique, celle de l’équilibre, s’ébaucha.

Le soir même de Pavie, François Ier, en secret, avait envoyé sa bague à Soliman. Le sultan et son ministre Ibrahim comprirent ce signe. Les relations entre la France et la Turquie étaient anciennes. Elles dataient de Jacques Cœur et de Charles VII. Mais c’étaient des relations d’affaires. Devenir l’allié des Turcs : pour que le roi franchît un tel pas, il fallait la nécessité. « Les Turcs occupent l’empereur et font la sûreté de tous les princes », disait François Ier aux Vénitiens. Il ira encore plus loin, puisqu’il lancera contre son ennemi jusqu’aux pirates d’Alger. Cette alliance avec l’Infidèle, c’était tout de même la fin de l’idée qui avait inspiré les Croisades, la fin de l’idée de chrétienté. Dans la mesure où elle avait existé, où elle avait pu survivre à tant de guerres entre les nations d’Europe, la conception de la République chrétienne était abolie. Elle l’était par le germanisme lui-même qui posait à la France une question de vie ou de mort, lui ordonnait de se défendre. Cette guerre était le commencement des guerres inexpiables où la vieille Europe viendrait tant de fois s’engloutir pour de nouvelles métamorphoses. Le roi Très Chrétien envoyait sa bague à Soliman. Mais bientôt, car la répudiation par François Ier de l’inacceptable traité de Madrid avait rouvert les hostilités, Charles-Quint, Majesté Catholique, livrait Rome à ses troupes bigarrées, à ses Vandales et à ses Goths. Le sac de la Ville Éternelle, où le connétable de Bourbon, inoubliable figure du renégat de son pays, trouva la mort, effraya l’Europe comme un présage (1527). Peut-être la chrétienté, lointain souvenir de l’unité romaine, était-elle déjà une illusion. Elle ne fut plus qu’une chimère.