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règne, si occupé au dehors des nouvelles guerres d’Italie, et dont la politique extérieure ne fut pas irréprochable, a été, à l’intérieur, celui de la bonne administration. Autant que les peuples peuvent être heureux, les Français d’alors semblent l’avoir été. Il y a peu de périodes où ils se soient montrés aussi contents de leur gouvernement. L’histoire recueille en général plus de récriminations que d’éloges. Presque toujours on s’est plaint. Presque toujours les gens ont trouvé que les choses allaient mal. Sous Louis XII, c’est un concert de bénédictions. La France se félicite des impôts, qui sont modérés, de la police, qui est efficace, de la justice, qui est juste. Le commerce lui-même, si exigeant, est satisfait. Depuis saint Louis, pareil épanouissement ne s’était vu. Comme alors, ce fut une douceur de vivre, en comparaison, peut-être, des temps si durs, legs des guerres civiles et de l’invasion, par lesquels la France avait passé. À ces moments-là on bénit le pouvoir. Sans doute, quand la France ne court pas de grand péril extérieur, quand il n’y a pas au dedans de factions qui la déchirent, elle se gouverne aisément. Elle a tout ce qu’il faut pour être heureuse. La popularité de Louis XII a été due pour une part à ces circonstances favorables. La Monarchie française était aussi, au jugement des contemporains, le meilleur gouvernement qui existât alors. Elle était tempérée par ses propres traditions et le mode de formation du royaume y répandait naturellement les libertés. Il fallait respecter les coutumes et les franchises des provinces nouvellement réunies, la Bourgogne, la Bretagne, et des privilèges à peu près équivalents s’étendaient aux autres provinces. La France était seule en Europe à offrir ce mélange d’unité et de diversité. Dans des conditions politiques et sociales bien différentes de celles d’aujourd’hui, les Français ont eu ainsi une existence enviable. Chaque classe avait son statut, ses droits, mais aucune n’était fermée. On accédait librement au clergé. Quant à la noblesse, la bourgeoisie s’y poussait d’un mouvement continu et cette noblesse prenait l’habitude de servir. Les droits seigneuriaux étaient de plus en plus limités et régularisés, de moins en moins lourds. La loi sortait de la coutume. Et l’ensemble formait une harmonie qu’admira Machiavel, venu d’un pays où tout n’était que confusion. Entre les Français et leur gouvernement, qui se rencontraient dans