Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ce moment, la régente eut à prendre une décision délicate. Dans un sens comme dans l’autre, il y avait à perdre et à gagner. Le moyen de réunir à la couronne les Bretons toujours ombrageux et jaloux de leur indépendance, c’était de marier Charles VIII avec l’héritière de Bretagne, la jeune duchesse Anne. Mais Louis XI, au traité d’Arras, avait convenu que le dauphin épouserait Marguerite d’Autriche, fille de Maximilien et de Marie de Bourgogne. À quoi valait-il mieux renoncer ? À la Bretagne ou bien à la Franche-Comté et à l’Artois, dot de la princesse Marguerite ? Il semble que Maximilien lui-même ait dicté le choix de la cour de France. On apprit que le veuf ambitieux avait épousé la duchesse Anne en secret et par procuration. Maximilien maître de la Bretagne, c’était l’ennemi installé en France. Le mariage fut déclaré nul avec l’appui du pape et ce fut Charles VIII qui épousa. La Bretagne deviendrait française. Enfin cette porte, trop longtemps ouverte à l’étranger, se fermait.

Tout allait bien pour la France. Le duc d’Orléans, le premier des princes, le futur Louis XII, s’était réconcilié avec le roi qui lui avait pardonné. L’Angleterre allait de guerre civile en guerre civile. Maximilien était devenu empereur, mais l’empereur germanique, dans ses Allemagnes divisées, continuait à avoir plus de difficultés que de puissance. Ni lui ni les Anglais ne purent rien contre le mariage breton.

Charles VIII, devenu majeur, était à la tête d’un État pacifié, prospère, et de la plus belle armée d’Europe. La France le poussait à agir. Elle s’était ennuyée sous Louis XI. Comme il lui est arrivé maintes fois, elle était lasse d’une vie prosaïque. Une autre génération était venue. Les maux de la guerre étaient oubliés. On aspirait au mouvement, à la gloire. Où diriger ce besoin d’activité ? Oh ! les tâches ne manquaient pas. La France n’était pas encore finie. Vers la Lorraine et le Rhin, entrevus par Charles VII, il restait beaucoup à faire, mais ce n’est pas là qu’allaient les imaginations. Et puis, pour épouser la duchesse bretonne, pour rompre le projet de mariage autrichien, Charles VIII avait renoncé par traité à la Franche-Comté et à l’Artois. Reprendre sa parole eût entraîné des complications, peut-être des périls. Une route restait ouverte et le sentiment public y poussait le jeune roi. C’était plus fort que