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scrupules étaient dans son caractère. Elles étaient aussi des nécessités de la situation. Diviser ses ennemis, abattre les plus faibles, s’humilier au besoin devant les autres, sacrifier ses alliés en cas de nécessité, inspirer la crainte quand il était le plus fort, subir des affronts et attendre l’heure de la vengeance : ce n’étaient pas des procédés de paladin. Charles le Téméraire, le « grand duc d’Occident », avait une autre allure. À la fin, comme dans la fable, le roseau l’emporta à force de plier.

Louis XI avait cru d’abord que quelques concessions aux grands vassaux suffiraient à sa sécurité, et qu’il pourrait, en attendant mieux, s’occuper d’autres affaires, du Roussillon, par exemple, qu’il réunit une première fois à la couronne. Mais le conflit avec la maison de Bourgogne était inévitable. Le comte de Charolais, bientôt Charles le Terrible ou le Téméraire, ambitieux et violent, à la fois Anglais et Portugais par sa mère, gouvernait déjà au nom du vieux duc Philippe. Charles se méfiait de Louis XI autant que Louis XI se méfiait de lui. Tout leur était grief, même leurs négociations. L’orage devait éclater. C’était bien ce que le roi redoutait : une coalition des féodaux, une autre praguerie. Elle eut avec elle le propre frère du roi, comme pour le punir de sa rébellion contre son père. Elle prit le nom séduisant de ligue du Bien Public, qui ralliait tous les mécontents. Elle lança une proclamation démagogique où les illégalités et l’arbitraire de la Monarchie étaient dénoncés : chose admirable sous la signature de Charles le Téméraire ! Louis XI était même accusé de comploter avec l’Angleterre contre les princes français, alors qu’il avait pris, par un bon contrat avec Warwick, une assurance contre une intervention anglaise. Il répondit, avec bon sens, que, sous les règnes précédents, c’étaient les guerres civiles qui avaient livré la France aux Anglais.

Louis XI avait sur les grands féodaux l’avantage de l’organisation royale, de l’armée permanente laissée par Charles VII. « Le roi est toujours prêt », disait avec dépit le Téméraire. Quand le duc de Bourgogne arriva, Louis XI avait déjà mis hors de jeu les ducs de Bourbon et de Nemours, grâce à quoi une bataille, qui eut lieu à Montlhéry (1465), fut indécise et Louis XI put rentrer dans Paris qu’il dispensa d’impôts pour être plus sûr de sa fidélité, car la trahison courait partout,