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cria vengeance, en appela au pays. Cette vengeance, le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, l’exerça contre la France. Il la livra à Henri V, qui épousa une fille de Charles VI et qui deviendrait roi de France à sa mort, les deux couronnes devant alors être confondues. Ainsi la France était conquise par l’Angleterre, elle perdait son gouvernement national puisque le dauphin Charles, le « soi-disant dauphin », était déchu de ses droits au trône par un document signé de Charles VI privé de ses dernières lueurs de raison. Dans ces mots « soi-disant dauphin » il y avait une imputation terrible : celle que Charles VII n’était pas le fils de son père. Tel fut le honteux traité de Troyes (20 mai 1420). Plus honteuse l’acceptation de l’Université, du Parlement, de tous les corps constitués de France. La signature de Charles VI étant nulle, les États Généraux consentirent à donner la leur. Paris même, ce fier Paris, acclama Henri V, « moult joyeusement et honorablement reçu ». Henri V s’empressa de prendre possession de la Bastille, du Louvre et de Vincennes. De ces forteresses, un roi étranger commanderait les Parisiens. Voilà ce que les révolutions leur avaient apporté : elles sont la seule cause de cet incroyable abaissement. La misère, la famine étaient telles, à la suite de ces longs désordres, que Paris, après avoir perdu le sens national dans ses disputes, avait perdu la dignité.

Neuf années s’écoulèrent pendant lesquelles il n’arriva pour la France qu’un événement heureux. En 1422, Henri V était mort prématurément, deux mois avant Charles VI. C’est-à-dire que l’Anglais n’eut pas l’héritage que lui réservait le traité de Troyes. Il ne fut pas roi de France. Il ne fut pas sacré à Reims. Il laissait un fils de neuf mois qui ne pouvait, lui non plus, recevoir la consécration et prononcer le serment d’où le pouvoir légitime découlait. Ce fut, pour la cause de Charles VII, pour la cause nationale, une chance inestimable : la voie restait libre. On comprend l’importance que Jeanne d’Arc, avec une intuition merveilleuse, attacha à faire sacrer le dauphin sans délai.

De 1422 à 1429, l’héritier de la couronne de France, proscrit, dénué de ressources, reconnu par un petit groupe de fidèles seulement, erre dans les parties de son royaume qui ne sont pas occupées par les Anglais. Encore le vrai roi n’y a-t-il guère