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se portera contre la vieille forteresse devenue inoffensive et désarmée. Enfin les insurgés, conduits par un médecin, voulurent s’emparer de la famille royale. L’hôtel Saint-Paul fut forcé à plusieurs reprises et les « traîtres » que le peuple réclamait enlevés sous les yeux du jeune dauphin, quelques-uns massacrés. Le duc de Bourgogne assistait à ces violences qui étaient l’œuvre de ses partisans. On ne l’écouta plus quand il essaya de les modérer. C’était la Terreur. Pour l’apaiser, le duc de Berry conseilla de promulguer l’ordonnance qu’on appelle la grande ordonnance cabochienne et qui mettait bout à bout les réformes demandées ou réalisées depuis un demi-siècle. Ce n’était pas assez pour contenter les écorcheurs et les excès continuèrent. Mais l’Université et les bourgeois commençaient à trembler devant les terroristes. Dès lors la réaction ne tarda plus. Les Armagnacs en furent l’instrument et Jean sans Peur, compromis avec les cabochiens, dut s’enfuir.

Un désastre national fut encore le prix dont ces désordres se payèrent. Le nouveau roi anglais, Henri IV, menait fermement l’Angleterre. Contre la Jacquerie, les lollards, le puritanisme naissant, il la gouvernait avec les propriétaires et l’Église établie. Son fils Henri V, qui lui succéda bientôt, reprit les desseins d’Édouard III, releva sa marine et débarqua une armée devant Harfleur, qui fut pris après un siège d’un mois : il n’y avait plus, pour l’arrêter, de marine ni d’armée françaises. Avec Harfleur, l’Angleterre tenait notre grand arsenal maritime, l’embouchure de la Seine, la Normandie. Comme pour prouver qu’il n’avait rien à craindre, Henri V remonta lentement vers sa base de Calais, trouvant partout la complicité bourguignonne. La France fût restée inerte sans sa chevalerie. On peut déplorer la témérité, l’imprévoyance de cette noblesse qui alla, comme à Crécy et à Poitiers, se faire massacrer à Azincourt (1415). Du moins, elle fut patriote : quelques Bourguignons se mêlèrent aux rangs des Armagnacs qui eurent l’honneur de provoquer la résistance à l’envahisseur. Et surtout de quoi se plaindre ? Nous n’avions plus d’autres soldats que ces gentilshommes imprudents.

Le désastre d’Azincourt ne ranima pas la France : elle se dissolvait. Par un autre malheur, les chances de l’avenir reculèrent. En quelques mois, trois dauphins moururent. Seul