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Capétien et « aviser à la réforme du royaume ». Philippe le Bel était menacé d’excommunication s’il refusait de laisser partir pour Rome les prélats français. Toutefois il chercha à négocier. Sa nature le portait à épuiser les moyens de conciliation avant de recourir aux grands remèdes. C’est seulement quand il vit que le pape était résolu à l’excommunier et à user contre lui de ses forces spirituelles, ce qui eût peut-être amené un déchirement de la France, que Philippe prit le parti de prévenir l’attaque et de frapper un grand coup. Il était temps, car déjà la parole pontificale agissait et le clergé, les ordres religieux, les Templiers surtout, hésitaient à suivre le roi et à donner tort à la papauté. C’est alors que Guillaume de Nogaret se rendit à Rome, trouva Boniface VIII à Anagni et s’empara brutalement de sa personne. Délivré, le pape mourut d’émotion quelques jours plus tard (1303).

Cette audace, cette violence étonnèrent l’Europe. On avait vu un César germanique s’humilier à Canossa devant Grégoire VII. Le roi de France triomphait. Il avait osé porter la main sur le pontife sans rompre le mariage des fleurs de lis avec la papauté. Les bulles de Boniface VIII étaient annulées. Le roi de France était maître chez lui. Il avait joué gros jeu pour sauver son autorité et l’unité morale du royaume. Le signe de sa victoire, ce fut que Clément V, ancien archevêque de Bordeaux, passa pour un pape français. Son successeur s’établira à Avignon. Pendant trois quarts de siècle, les papes y resteront sous la protection de la Monarchie française.

Ces résultats, Philippe le Bel ne les avait pas cherchés. Ils vinrent naturellement, comme une suite des choses. Ce règne a une explication : la Flandre. Il a une clef : Courtrai. Si l’annexion de la Flandre était superflue, sa soumission était nécessaire au dessein national du roi. Il la fallait pour mettre la France en sûreté contre l’Angleterre. La défaite de Courtrai avait été un coup terrible. Cette défaite est de 1302. L’acte brutal de Nogaret est de 1303 : le roi de France a agi pour défendre l’unité chez lui et son prestige en Europe. Battu en Flandre, excommunié à Rome, abandonné peut-être par une partie de ses sujets : tout eût été perdu. L’affaire flamande, c’est-à-dire au fond l’affaire anglaise, a commandé la politique de Philippe le Bel.