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souci du roi, tandis qu’il était aux prises avec les difficultés européennes, étant de ne pas laisser sortir d’argent de France. Le pape critiquait le gouvernement de Philippe le Bel, l’accusait d’oppression et de tyrannie, intervenait même dans les finances puisqu’un de ses griefs était l’altération des monnaies, mesure nécessitée par la guerre, elle aussi ; car, en ce temps-là, où l’on n’avait pas la facilité d’imprimer des billets de banque, on mettait moins de métal précieux dans les pièces de monnaie, ce qui était la forme ancienne de « l’inflation monétaire ».

Philippe le Bel reçut mal ces remontrances et la France les reçut aussi mal que lui. Pour frapper les imaginations, comme s’y prendrait aujourd’hui la presse, le roi publia de la bulle Ausculta fili un résumé tendancieux qui grossissait les prétentions du pape. On dit qu’il répandit encore, dans le style du « Trop allemand », une réponse insolente où Boniface était appelé « Sa Très Grande Fatuité », tandis que Philippe ne lui donnait que « peu ou point de salut ». Enfin, pour mieux marquer qu’il avait la France derrière lui, le roi convoqua des États Généraux. On a prétendu de nos jours que c’était une innovation, que, de ces États de 1302, dataient une institution et l’origine des libertés publiques. À la vérité, il y avait toujours eu des assemblées. L’une d’elles, nous l’avons vu, avait élu Hugues Capet. Les bourgeois des villes, les gens de métier, avaient coutume de délibérer sur les questions économiques, en particulier celle des monnaies. La convocation de 1302 ne les surprit pas et ne paraît pas avoir été un événement, car l’élection des représentants du troisième ordre — le « tiers état » — n’a pas laissé de traces et tout se passa comme une chose naturelle et ordinaire puisque la convocation fut du mois de mars et qu’on se réunit dès avril, à Paris, dans l’église Notre Dame. Nobles, bourgeois, clergé même, tous approuvèrent la résistance de Philippe le Bel au pape. Le roi de France « ne reconnaissait point de supérieur sur la terre ». C’est l’expression dont Bourdaloue s’est servi plus tard pour donner, en exemple agréable à Louis XIV, la « vigueur » avec laquelle saint Louis avait agi pour défendre les droits de la couronne. Une tradition de la Monarchie et de l’État français s’était formée.

Boniface VIII avait une grande force de caractère. Il maintint sa prétention de convoquer à Rome un concile pour juger le