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À chaque instant les intérêts diffèrent, les conflits et les compétitions éclatent. La piété, la sainteté même de Louis IX le rendaient plus indépendant qu’un autre dans ses relations avec l’Église parce qu’il était insoupçonnable au point de vue de la foi. Michelet remarque avec raison que, s’il n’y avait eu saint Louis, Philippe le Bel n’eût peut-être pas osé entrer en lutte avec le pape.

Louis IX eut une fin de missel et de vitrail. Les nouvelles d’Orient étaient mauvaises, le royaume chrétien de Jérusalem s’en allait par morceaux : il voulut empêcher que l’œuvre de deux siècles fût anéantie. Mais l’enthousiasme des croisades était tombé. L’ardeur de la renaissance religieuse aussi. Cette fois, Joinville ne partit pas et remercia Dieu de le laisser à la maison. Avec saint Louis, les croisades allaient finir. Son frère Charles d’Anjou, qui avait conquis la Sicile et qui n’avait en tête que des idées politiques, le dirigea vers Tunis, face à la côte sicilienne. À peine arrivé à l’endroit où avait été Carthage, le saint roi, comme l’appelait déjà la renommée, mourut de la peste en répétant le nom de Jérusalem, que personne n’entreprendrait plus de délivrer après lui.

À sa mort (1270), il y a près de trois cents ans que règnent les Capétiens. Les progrès sont considérables, et le plus sensible, c’est que l’État français, dont les traits principaux sont fixés, a pris figure au dehors. Il est sorti victorieux de sa lutte avec les Plantagenets, la menace allemande a été conjurée et maintenant l’Angleterre et l’Allemagne sont en pleine révolution. Saint Louis, en mourant, laissait à son fils, avec des « enseignements » dignes de lui, une situation excellente, mais qui allait comporter des développements imprévus.

Ce qui fait la complexité de l’histoire, c’est que les événements sortent sans fin les uns des autres. La dernière croisade de Louis IX, en coûtant la vie à plusieurs princes et princesses, ouvrait des héritages à son successeur Philippe III. La Monarchie, depuis Louis VIII, appliquait un système qui avait ses avantages et ses inconvénients. Quand des provinces étaient nouvellement réunies, elles étaient données en apanage à des princes capétiens afin de dédommager les fils puînés et d’éviter les jalousies et les drames de famille où s’était abîmée la dynastie des Plantagenets. On pensait que cette mesure tran-