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Rien ne permet de lui attribuer cette pensée. Ce n’était qu’un règlement provisoire, une trêve. En prenant soin d’exiger d’Henri III l’hommage de vassalité, saint Louis marquait assez qu’il réservait l’avenir. Tant mieux si la France pouvait un jour se libérer pacifiquement des Anglais. Mais il ne renonçait à rien.

À l’intérieur également le règne de saint Louis fut celui de la justice. Ce ne fut pas celui de la faiblesse : il eut la justice des justiciers et savait fort bien faire pendre, même des barons. Il y a aussi une sainteté de l’ordre et des lois. Louis IX continua l’œuvre des légistes, — il en avait pour amis, — en l’adoucissant de christianisme et d’humanité. « Bataille n’est pas voie de droit », disait-il pour refuser les « jugements de Dieu ». C’est comme juge royal, sous le chêne de Vincennes, que son souvenir est resté populaire. Il ne se contentait pas de prêcher d’exemple. Il organisait les tribunaux, la procédure. Il mettait le « Parlement » au-dessus des autres juridictions. C’est sous son règne que cette cour d’appel et de justice reçoit ses attributions principales. Et le Parlement jouera un grand rôle dans notre histoire. En unifiant le droit, il unira la nation. Il renforcera l’État en éliminant peu à peu les justices féodales, jusqu’au jour où le Parlement lui-même, devenu pouvoir politique, sera un danger pour la Monarchie.

Réformateur judiciaire, saint Louis fut aussi un réformateur de la société. Il pousse à la libération des serfs, il étend le droit de bourgeoisie. Surtout il organise les corporations. L’existence et les droits de l’ouvrier reçoivent protection dans un « ordre social chrétien », inscrit au célèbre Livre des Métiers. Si la figure de saint Louis est devenue si vite idéale, si elle est restée légendaire, ce n’est pas seulement parce que ce roi était bon, juste et charitable. C’est parce que, sous son règne, par « la bonne droiture », comme disait Joinville, la France était devenue plus prospère, la vie plus douce, plus sûre, plus humaine. Il léguera à la Monarchie capétienne et à la France une renommée qui ne s’effacera plus.

Ce pieux roi, il ne faudrait pas le prendre pour un roi clérical. Pas plus que celle de Philippe Auguste, sa monarchie n’est une théocratie. Le roi n’est pas l’esclave du clergé, dont la noblesse n’est pas davantage l’associée. C’eût été trop simple !