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propres villes, il le réprimait quand il y avait des désordres, ou bien il le limitait soigneusement. Il commença aussi à organiser l’administration du royaume avec le souci de garder l’autorité entre ses mains. C’était un homme pour qui les leçons de l’expérience n’étaient pas perdues et il ne voulait pas s’exposer à créer une autre féodalité. Aussi choisit-il pour fonctionnaires de petites gens qui fussent bien à lui et qu’il changeait souvent de place. À sa suite, les rois de France s’entoureront de roturiers bons comptables et bons légistes. Son homme de confiance, Suger, un simple moine, sera le ministre-type de la royauté.

Voilà comment, par la force des choses, les Capétiens, issus du régime féodal, en devinrent les destructeurs. Ils devaient le soumettre ou être mangés par lui. Mais cela ne se fit ni par doctrine ni par système. Si le roi de France ne voulait pas de féodaux dans son domaine, il tenait beaucoup à sa suzeraineté sur les grands feudataires. Il y avait un droit féodal. Les vassaux qui l’eussent violé avaient eux-mêmes des vassaux qui pouvaient le violer à leur tour. C’est pourquoi les Capétiens purent citer à leur cour de justice des princes plus puissants qu’eux comme les Plantagenets. En somme le roi de France retenait de la féodalité ce qu’elle avait d’avantageux pour lui : c’était un article d’exportation. À l’intérieur, il s’appuyait sur la grande force morale du temps, l’Église, que sa tradition invinciblement romaine portait vers la Monarchie, c’est-à-dire vers l’unité. Il s’appuyait aussi sur l’opinion publique, sur le peuple qui trouvait une protection dans son autorité. Ainsi la politique capétienne se précisait et se définissait. Elle fondait la nation et l’État. Avant tout, cette politique était nationale et déjà le roi personnifiait la France. On le vit lorsque l’empereur allemand, en 1124, tenta encore une invasion. De tous les points du pays, vassaux et milices vinrent se ranger autour du roi et de l’oriflamme de saint Denis. Le César germanique ne s’attendait pas à cette résistance. Déjà en marche sur Reims, il rebroussa chemin. On a dit avec raison que c’était le prélude de Bouvines.

Avec l’ordre renaissant, avec l’excitation intellectuelle des croisades, le goût du savoir et le goût des idées s’étaient ranimés. Quelle erreur de croire que ce siècle lui-même ait été celui