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rabilité bourgeoise plus que princière et le goût de l’administration. La France sensée, équilibrée, se reconnut dans cette famille qui aimait son métier et qui avait le don de s’instruire par l’expérience. Il semble que les Capétiens aient eu devant les yeux les fautes de leurs prédécesseurs pour ne pas les recommencer. Les descendants de Charlemagne, de Charles le Chauve à Lothaire, s’étaient épuisés à reconstituer l’Empire. Ce fut également la manie des empereurs germaniques. Les Capétiens étaient des réalistes. Ils se rendaient un compte exact de leurs forces. Ils se gardèrent à leurs débuts d’inquiéter personne.

La race de Hugues Capet, après avoir mis trois générations à prendre la couronne, régnera pendant huit siècles. L’avenir de la France est assuré par l’avènement de la monarchie nationale. À cette date de 987, véritablement la plus importante de notre histoire, il y a déjà plus de mille ans que César a conquis la Gaule. Entre la conquête romaine et la fondation de la Monarchie française, il s’est écoulé plus de temps, il s’est passé peut-être plus d’événements que de 987 à nos jours. Au cours de ces mille années, nous avons vu que la France a failli plusieurs fois disparaître. Comme il s’en est fallu de peu que nous ne fussions pas Français !

La nouvelle dynastie était elle-même bien fragile : quand Hugues mourut, il venait tout juste de faire reconnaître son titre de roi par les grands feudataires, titre qui ne lui donnait sur eux qu’une supériorité morale. Il avait même dû défendre son domaine contre ses voisins. Ces guerres de province à province et de clocher à clocher étaient une des désolations de l’anarchie féodale. Au comte de Périgord qui s’était emparé de sa ville de Tours, Hugues ayant fait demander par un héraut : « Qui t’a fait comte ? » s’entendit répondre : « Qui t’a fait roi ? » Les Robertiniens avaient mis cent ans à s’élever au trône. Il leur faudra encore cent ans pour qu’ils soient tout à fait solides. Supposons chez les descendants de Hugues des morts imprévues et prématurées, qui auraient remis la couronne au hasard de l’élection, supposons de trop longs règnes achevés dans la faiblesse sénile, le roi vieillard perdant le contact avec ses contemporains et sa longévité troublant l’ordre régulier des générations : la maison capétienne disparaissait. En tout cas