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Les contemporains s’abandonnèrent à l’illusion que la Germanie était entrée dans la communauté chrétienne, acquise à la civilisation et qu’elle cessait d’être dangereuse pour ses voisins de l’Ouest. Ils furent un peu comme ceux des nôtres qui ont eu confiance dans le baptême démocratique de l’Allemagne pour la réconcilier avec nous. Cependant Charlemagne avait recommencé Marc-Aurèle et Trajan. Il avait protégé l’Europe contre d’autres barbares, slaves et mongols. Sa puissance s’étendait jusqu’au Danube. L’empire d’Occident était restauré comme il l’avait voulu. Il ne lui manquait plus que la couronne impériale. Il la reçut des mains du pape, en l’an 800, et les peuples, avec le nouvel Auguste, crurent avoir renoué les âges. Restauration éphémère. Mais le titre d’empereur gardera un tel prestige que, mille ans plus tard, c’est encore celui que prendra Napoléon.

De l’Empire reconstitué, Charlemagne voulut être aussi le législateur. Il organisa le gouvernement et la société ; le premier il donna une forme à la féodalité, née spontanément dans l’anarchie des siècles antérieurs et qui, par conséquent, n’avait pas été une invention ni un apport des envahisseurs germaniques. Lorsque l’État romain, puis l’État mérovingien avaient été impuissants à maintenir l’ordre, les faibles, les petits avaient cherché aide et protection auprès des plus forts et des plus riches qui, en échange, avaient demandé un serment de fidélité. « Je te nourrirai, je te défendrai, mais tu me serviras et tu m’obéiras. » Ce contrat de seigneur à vassal était sorti de la nature des choses, de la détresse d’un pays privé d’autorité et d’administration, désolé par les guerres civiles. Les Carolingiens eux-mêmes avaient dû leur fortune à leur qualité de puissants patrons qui possédaient une nombreuse clientèle. L’idée de Charlemagne fut de régulariser ces engagements, de les surveiller, d’en former une hiérarchie administrative et non héréditaire, où entraient « des hommes de rien » et dont le chef suprême serait l’empereur. Charlemagne voyait bien que la féodalité avait déjà des racines trop fortes pour être supprimée par décret. Il voyait aussi qu’elle pourrait devenir dangereuse et provoquer le morcellement de l’autorité et de l’État. Il voulut dominer ce qu’il ne pouvait détruire. Le souverain lui-même, en échange de services civils et militaires, concéda, à titre révo-