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ÉPILOGUE

PAROLES DES GOTHAS QUI BOMBARDAIENT PARIS


CE soir-là, les moteurs des machines ennemies ronflaient au-dessus de nos têtes. C’était comme le bruit d’ailes de l’ange funèbre, l’ange Azraël qui emporte les morts. Mais ils parlaient, ces moteurs bourdonnants. Et, au milieu du fracas des bombes, voici ce qu’entendaient ceux qui comprennent leur langage

— Moi, disait le premier gotha, je suis chargé d’apprendre aux Français ce que c’est que l’Allemagne. Dire qu’ils auront été si longtemps avant de nous connaître ! Ils nous prenaient pour un peuple de philosophes, de spéculatifs désintéressés. Des naïfs, enfin. Il y a quarante-huit ans qu’un de nos grands intellectuels l’a proclamé : « Nous ne sommes pas des naïfs, et nous ne voulons l’être à aucun prix. » Tiens, je vole, d’après mon plan, au-dessus d’un quartier où se trouve une rue de Staël. Si je lâchais une bombe, pour enseigner aux Parisiens comme cette dame suisse les a trompés ? Elle avait cru découvrir l’Allemagne parce qu’elle avait causé avec une vieille bête d’idéaliste qui s’appelait Schiller. Mais nous étions idéalistes quand nous étions faibles et vaincus. Maintenant, vive la force ! Il paraît qu’elle avait dit des Allemands, cette Mme de Staël « L’empire de l’air leur appartient. » Elle nous croyait perdus dans les nuages, rêvant au milieu de la fumée de nos pipes. L’empire de l’air, voici comme nous le concevons : nous le possédons avec nos machines ailées, d’où nous précipitons la ruine et la mort sur les foyers où dorment les petits Français. En l’honneur de Mme de Staël, lâche ta bombe, bombardier !