Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mille ans de travaux et de vie en commun. A ces jours critiques de son existence, elle payait ses erreurs et elle recueillait aussi le fruit de ce qu’elle avait fait de bien et de beau. Ses traditions et ses souvenirs militaires concouraient avec le labeur persévérant, souvent si mal récompensé, de ceux qui, depuis 1871, s’étaient appliqués à lui donner une armée, à lui instruire des états-majors et des soldats. Et, au moment le plus tragique, lorsque, déjà toute saignante, elle était trahie par l’idée révolutionnaire qui détruisait la Russie, l’Amérique, se souvenant qu’elle avait été sauvée grâce à Louis XVI et à Vergennes, grâce à La Fayette et à Rochambeau, venait aider la France à se sauver à son tour.

Si ces lointaines puissances du temps se sont fait sentir, comment des influences plus proches n’auraient-elles pas agi ? Dans la guerre, le grand conflit qui, tant de fois, avait mis les Français aux prises avant la guerre s’est représenté. Ceux qui pensaient au fond d’eux-mêmes qu’il eût mieux valu s’entendre et composer avec l’Allemagne plutôt que de lui résister, ceux-là n’abandonnaient pas leur idée, ou bien ils n’y renonçaient que du bout des lèvres. Mais combien cette idée s’aggravait lorsque l’Allemagne en armes occupait le territoire, lorsqu’une expérience atroce enseignait que tout fléchissement, toute faiblesse morale eussent livré la France à l’ennemi et qu’au mois d’août 1914, l’Allemagne eût exigé la remise de nos places fortes, les clefs de notre maison, en garantie de notre neutralité Ce qui avait été une politique, et une politique qui jamais n’avait pu être avouée ni pratiquée au grand jour, tournait à la haute trahison. Le jour où Clemenceau, pareil à ce qu’il avait été lorsqu’il dénonçait Jules Ferry, a envoyé Joseph Caillaux devant la justice, c’est le procès ouvert depuis les origines de la République qu’il a fait juger.

Et maintenant, il s’agit de savoir ce qu’on fera, ce qu’on pensera demain. Il y aura l’Europe à reconstruire. Tous les problèmes du passé sont remontés à la surface, et il s’en est ajouté de nouveaux, de plus vastes, qui, peut-être, n’ont pas encore fini de se développer. Ce ne sont plus seulement quelques peuples qui se trouvent en présence et, comme aux moments les plus difficiles d’autrefois, une demi-douzaine d’États qui avaient l’habitude de rivaliser, de guerroyer et de