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liques qui, avec Windthorst, résistaient à Bismarck. Comme les libéraux, les premiers, en avaient donné l’exemple, les socialistes et les catholiques étaient devenus « nationaux ». Avec les années, le courant n’avait fait que devenir plus fort. Par deux fois, en 1887 et en 1893, sous Bismarck et sous Caprivi, il avait fallu dissoudre le Reichstag pour obtenir le vote de nouvelles lois militaires. Depuis, cette opposition n’avait pas reparu. Des charges de plus en plus lourdes étaient imposées au peuple allemand et il approuvait, par le suffrage universel, que ce formidable instrument de guerre lui fût forgé.

En somme, sa révolution politique, l’Allemagne l’avait eue de 1866 à 1870. Cette révolution était dans son passé et continuait à la diriger. Pour redevenir une nation, il avait fallu qu’elle brisât l’ancien système des petites cours, qu’elle redevînt un Empire, appuyé sur la force de l’État prussien et organisé par lui. L’Allemagne était fière et heureuse d’être « une ». Et dans la même mesure où elle était attachée à son unité, si longtemps désirée, source de richesse, de puissance et de gloire, elle était attachée aux conditions de son unité, telles que l’histoire les avait établies. Ces conditions, c’était la monarchie des Hohenzollern et de fortes institutions militaires. Ainsi l’Allemagne, sa dynastie impériale et son militarisme formaient un bloc, dans lequel il était vain de chercher à distinguer. Quelquefois des orages passaient. Pendant les fameuses « journées de novembre » 1908 le peuple allemand avait grondé haut contre Guillaume II. Tout de suite, de lui-même, il apaisait ses tempêtes à la pensée qu’il touchait à l’arche. Un remords l’arrêtait sur le chemin au terme duquel il craignait d’entrevoir la dissociation de l’Allemagne par un divorce entre la nation et l’empereur.

Ainsi ce nationalisme germanique, sorti des grands courants intellectuels du dix-neuvième siècle, associé, à ses origines, à l’idée libérale, s’était développé dans le sens de l’impérialisme. La liberté qu’avaient conçue les Allemands, ç’avait été d’abord celle de former, au lieu d’une « mosaïque disjointe », un seul peuple affranchi des entraves de la vieille Confédération. Maintenant, ils la concevaient comme la liberté de rayonner à travers le monde, de conquérir, selon le mot de Guillaume II, leur