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nourrissant le feu sacré de la nationalité dans un pays que l’invasion menaçait et qui ne s’en doutait pas.

L’élection de M. Poincaré à la présidence de la République avait été l’expression politique de cette renaissance du sentiment national. Puis, que d’hésitations, que de rechutes, jusqu’à l’heure où la République devrait appeler les citoyens aux armes ! Les élections d’avril-mai 1914 montrèrent que la foule restait insensible à son bien et à son mal, indifférente et aveugle au danger. Si jamais consultation populaire signifia une volonté de paix et de désarmement, ce fut celle-là. Le service de trois ans, rétabli à la demande des chefs de l’armée et de quelques ministres avertis et anxieux qui voyaient monter l’orage, sortait condamné du scrutin. « Inveni portum, avait répondu le suffrage universel. Dans le havre démocratique, je suis en sûreté et je suis bien. Je ne cherche querelle à personne et, si quelqu’un nous en cherche une, n’y a-t-il pas le faisceau de nos alliances et de nos amitiés pour rendre la guerre impossible ? »

Encore quelques semaines, et l’heure redoutée sonnera après quarante-trois ans. La République n’a pu tenir sa promesse de paix : l’illusion était de croire que la guerre ou la paix dépendissent d’elle. Et ses chefs craignent alors les effets de cette promesse répétée, de ce narcotique si longtemps administré à hautes doses, que la démocratie demandait et qui l’a endormie dans la paresse et dans l’insouciance. Ils savent aussi que la France n’est pas prête comme elle devrait l’être, que l’électeur, juge souverain de son propre sort, ne s’est pas forgé à lui-même des armes suffisantes pour le jour de l’assaut.

Ce grand jour inévitable, le voilà arrivé. Un roulement de tambour dans les villages, une dépêche qu’on affiche : c’est le destin qui prononce, pour des millions d’individus et pour la nation. « La mobilisation générale est ordonnée. Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août. » Ce premier jour, comme il est loin ! Il s’en est écoulé plus de mille pendant lesquels on a combattu et souffert, pendant lesquels on est mort. Quarante ans de liberté politique auront eu pour contrepartie des années d’invasion et des années de tranchée. Que de sang, que de larmes et que de ruines ! Dans quelle trompeuse sécurité ce peuple avait vécu ! Mais, au fond de lui-