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Tout de suite elle prospéra. Des charges militaires réduites, un vaste budget qui, par les mille canaux des emplois publics, des indemnités, des subventions, distribuait les richesses du pays sans en tarir brutalement la source, il y avait de quoi séduire les masses électorales. M. de Freycinet observe, dans ses Souvenirs, qu’en 1893 un tiers de la France refusait encore de reconnaître le régime républicain. Depuis, cette opposition n’avait cessé de fondre ou de s’atténuer. A partir de 1902 elle cessa presque entièrement de compter au point de vue parlementaire. Une circonscription qui n’avait pas un député gouvernemental était une circonscription déshéritée, et l’électeur le savait bien. Son bulletin de vote était devenu un billet à ordre dont il s’entendait à tirer les intérêts. On a beaucoup flétri la surenchère électorale. L’admirable, c’est qu’elle ne soit pas allée plus loin, que l’impôt ait continué d’être payé par plus de trois ou quatre cent mille personnes, et qu’une armée encore puissante, malgré tant de lacunes, tant de relâchements successifs, ait coexisté avec cet état de pure démocratie. Le bon sens, l’instinct national des Français avaient servi de correctif. Ils avaient fait ce premier miracle.

Il y avait plus de dix ans que la politique intérieure et la politique extérieure de la France ne se pénétraient plus qu’à peine ou ne se pénétraient plus du tout. En 1905, sept ans après Fachoda, il s’était produit une nouvelle secousse. Cette fois, c’était avec l’Allemagne que la guerre avait failli éclater. Quels soubresauts ! Quels coups de tangage ! Après Charybde, c’était Scylla. Le rapprochement franco-anglais, la liquidation de la vieille et funeste rivalité coloniale, cette œuvre politique si raisonnable et dont le seul défaut était d’avoir trop tardé, avait donc produit cet effet ? L’entente cordiale s’ajoutait à l’alliance russe. Les deux Empires qui, en 1875, s’étaient interposés quand Bismarck voulait en finir avec la France, nous avions enfin réussi à nous les attacher, à ébaucher avec eux un système diplomatique. Et voilà que cette garantie se changeait en un risque nouveau ! Mais, en y regardant de plus près, on découvrait déjà quelques-unes des faiblesses de la Russie, tra-