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Consolider le nouvel Empire allemand, lui donner des alliances, le plus d’alliances possible, prévenir toute coalition dont la France serait l’âme, c’était le souci dominant de Bismarck. Il lui fallait une France qui renonçât à jouer un grand rôle sur le continent et qui trouvât ailleurs des occupations et des compensations. Cependant il règlerait le compte de la Russie et du slavisme qui se réveillaient en Orient et qui alarmaient l’Angleterre. Chez nous, l’inquiétude était que cette guerre russo-turque, survenant si tôt après notre désastre, ne nous entraînât nous-mêmes dans une vaste guerre européenne, et le mot d’ordre était l’abstention. Oh ! certes la France était guérie des aventures. Personne n’y demandait plus de voler à l’aide des nationalités opprimées ou de faire une guerre de principes. Mais s’abstenir, même moralement, c’était une chimère. La République se voyait, dès ses premiers pas, rejetée dans ces complications extérieures dont elle aurait voulu s’écarter. Aller au Congrès de Berlin, ce ne pouvait être que pour approuver ce qui s’y ferait, et ce qui s’y ferait c’était l’isolement et la diminution de la Russie par l’Allemagne associée à l’Angleterre, c’était la consécration européenne de la victoire allemande de 1870. N’y pas aller, c’était une désapprobation, un blâme à Bismarck, qui dès lors nourrirait le soupçon que la France cherchait à se rapprocher de la Russie. On y alla.

On en revint avec la Tunisie et avec une tentation : aux hommes prudents qui dirigeaient la République et qui continuaient la pensée de Thiers, Bismarck avait montré la voie. Bientôt Jules Grévy serait élu à la présidence. Toute une politique y entrerait avec lui, et elle consisterait à chercher des dérivatifs à l’idée de revanche, à ne plus « s’hypnotiser sur la trouée des Vosges ». Le monde est vaste, avait suggéré Bismarck. En Afrique, en Asie, l’Allemagne vous donne carte blanche. Et il pensait qu’il aurait les mains libres en Europe, que l’humeur inquiète des Français serait employée au loin, leur créerait des embarras, si même elle ne les mettait pas en conflit avec l’Angleterre. Et de leur côté, plusieurs des chefs du parti républicain trouvaient l’offre séduisante. L’expansion coloniale, la constitution d’un vaste domaine africain et asiatique, ne serait-ce pas une compensation honorable au traité de Francfort ? Il ne suffisait pas d’avoir fondé la République. Il