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de la France comme puissance catholique, et ses discours fameux n’avaient pas été sans effet pour établir le principe de « Rome intangible. ». Après 1870, Thiers ne songea plus qu’à une chose : au danger de déplaire à Bismarck, au danger de lui résister, d’attirer sur la France une nouvelle invasion. Ne pas donner de griefs à l’Allemagne, s’entendre avec elle, abonder dans son sens : il ne voyait de salut que là. Si l’on pouvait connaître ses pensées intimes, les propos qu’il tenait à ses confidents, on découvrirait sans doute que ses impressions de 1871 s’étaient confirmées, développées au point de former un système. Pendant l’alerte de 1875, Thiers avait tremblé. Il avait jugé téméraire la politique du duc Decazes qui avait tenu tête à l’orage et qui l’avait conjuré grâce à l’appui diplomatique de l’Angleterre et de la Russie. Thiers était encore sous le coup de sa vaine tournée de 1871 à travers les capitales de l’Europe, de son inutile appel aux puissances. Il était frappé par la force allemande. Pour lui, la sagesse, le patriotisme consistaient à s’incliner, à ne pas braver plus fort que soi. C’est pourquoi il allait, dans les derniers mois de sa vie, jusqu’à l’idée d’une réconciliation complète avec l’Allemagne. L’historien Edmond Hippeau a même pu écrire « M. Thiers estimait que la France devait, sept ans après la guerre, pratiquer la politique d’oubli du passé et que le meilleur moyen de désarmer l’hostilité de l’Allemagne était de lui proposer nous-mêmes un rapprochement, en lui donnant un gage sérieux de nos sentiments pacifiques. »

Non sans des résistances, des rougeurs secrètes, Gambetta avait accédé aux raisons de Thiers. Gambetta n’ignorait pas que le veto de Bismarck avait pesé quelque temps sur lui. Quiconque était capable de conduire une politique de revanche, qu’il fût de gauche ou de droite, était suspect à Berlin. Étant donné les souvenirs de la Défense nationale et de la guerre à outrance, Bismarck ne voulait pas plus d’une République gambettiste que d’une Monarchie ou d’une République catholique. De même qu’il avait fallu dépouiller le vieil homme, sortir de la peau du « fou furieux » pour ne pas effaroucher l’électeur français, il fallait que Gambetta donnât des apaisements à Bismarck, et on ne l’apaiserait qu’en lui apportant des gages. Il fallait en passer par là. La trompeuse ressemblance