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Ainsi, la République s’était faite. Après quels conflits, quelles résistances, quelles contestations passionnées ! Par quel concours de circonstances imprévues ! Elle n’avait été votée qu’à une voix de majorité. Elle n’était encore qu’un régime provisoire, sujet à revision, consenti faute de mieux, toléré plutôt jusqu’à ce que, le comte de Chambord ayant disparu, la Monarchie redevînt possible. Cette République à terme, accordée avec répugnance par des hommes de droite, la droite conservatrice en était encore maîtresse. Il fallait la lui arracher. On y réussirait en touchant l’électeur à l’endroit sensible. Ni guerre, ni révolution : l’expérience l’avait prouvé, c’était la formule magique qui agissait sur la masse électorale. Les républicains seraient les plus forts s’ils cessaient définitivement de passer pour les révolutionnaires et les belliqueux et s’ils retournaient contre les monarchistes au moins la seconde de ces qualifications, et même, à la rigueur, la première : car le suffrage universel aime et respecte les faits accomplis. La République en était un et rien n’était plus simple que de représenter comme des séditieux ceux qui voulaient la détruire. Dès lors les conservateurs n’avaient plus qu’à plier bagage.

Le peuple français, après son désastre, restait fier, patriote, jaloux de sa dignité nationale, passionné pour son relèvement. Mais il continuait à vouloir la paix. De bon gré, plus volontiers encore que les charges fiscales, carte à payer de ses erreurs, il acceptait les charges militaires. Il y poussait même, à ce moment-là, étant encore sous le coup de l’invasion, et dans l’idée que sa prévoyance et ses sacrifices rendraient impossible une invasion nouvelle. Quant à la guerre, fût-ce même une guerre de revanche, il n’en voulait pas. Le souci de Gambetta qui mena, pour les républicains de gauche, la campagne électorale de 1876, fut de rassurer les foules pacifiques. Avec art, il sut ménager la transition, ombrer, sans la renier, la déclaration de Bordeaux et la mission que lui avait confiée l’Alsace. Plus rien d’impératif dans ses discours. Plus de ces paroles qui effarouchent et qui feraient penser à l’obligation d’un conflit armé. « J’espère, disait-il, qu’un jour, rien que par l’ascendant du droit, nous retrouverons, pour l’équilibre de l’Europe et le triomphe de la justice, nos frères séparés. » Ainsi tout allait bien. « Retrouver » les provinces perdues, ce n’était pas les