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chir si elle avait été clairement conçue, nettement posée. Elle ne le fut pas. Il y eut quelques cris éloquents, partis du cœur, comme celui de Lucien Brun « Ayez pitié de vos enfants ! » Ce fut tout. Il semblait que le seul point fût de savoir laquelle des deux traditions l’emporterait, celle de 1789 ou celle d’avant 1789. Là-dessus, les développements étaient nourris. Il était pourtant certain d’avance que la tradition la plus nouvelle, qui était aussi la plus vivace, devait triompher. Sur ce terrain, et dans un temps où le libéralisme du siècle était encore si florissant, les républicains étaient les plus forts.

Mal posé devant le pays, mal posé dans l’Assemblée, le problème ne l’était pas mieux dans l’esprit de celui qui aurait pu être roi. Au fond, tout le monde se rencontrait pour débattre et régler la situation de 1871 avec les sentiments et les idées de 1830. Le comte de Chambord était une grande âme qui en était restée à Charles X. Il aurait pu prendre pour devise, comme les hommes de la génération qui avait une première fois laissé tomber la Monarchie : « Périr est aussi une solution. » Si le comte de Chambord n’avait pas mis son « principe », dont il disait qu’il était sa seule force, au-dessus de la France elle-même, se serait-il ingénié, ainsi qu’il l’a fait, à trouver des raisons de ne pas accepter le trône qu’on lui tendait ? En vain des patriotes comme le général Ducrot, le gardien de Strasbourg, un de ceux qui, avant 1870, avaient annoncé le péril allemand, l’avaient supplié à genoux de revenir sur le symbole du drapeau blanc. En vain le persuasif Chesnelong avait proposé à Henri V l’exemple de Henri IV. Rien n’avait pu faire fléchir cette obstination. On comprend la douleur, le dépit, l’amertume des monarchistes dont les efforts se trouvaient condamnés. « M. le comte de Chambord a jeté la couronne par la fenêtre », dit l’un d’eux. Il avait dit avec sévérité le juste mot.

La restauration de la Monarchie échouait par le refus du prince que la logique des événements était venue chercher. Ce refus extraordinaire a posé une énigme. On s’est demandé souvent si le comte de Chambord avait vraiment voulu régner, s’il n’avait pas subi des influences domestiques, ou reculé devant le veto de l’Allemagne. L’étrange démarche à laquelle il se résolut, après la lettre fameuse qui tuait dans l’œuf la res-