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CHAPITRE IX

RUE SAINT-LOUIS, N° 5, À VERSAILLES


« La liberté ou la force de l’âme est la vertu des particuliers ; mais la vertu de l’État, c’est la sécurité. »
Spinoza.


À mesure que nous nous rapprochons de notre époque, il devient plus malaisé de saisir le fil de l’histoire. C’est en nous-mêmes que nous voyons le moins clair. Et nous sommes encore trop engagés dans la génération qui précède immédiatement la nôtre, nous vivons trop de ses sentiments et de ses idées, nous sommes trop agités de ses passions pour retrouver d’un seul coup les grandes lignes qui se découvriront d’elles-mêmes plus tard. Si la vie des peuples n’était pas faite de poussées d’instinct contradictoires, de tendances dont celle qui doit finalement prévaloir paraît quelquefois vaincue, la tâche de la politique serait trop aisée.

Appelée à voter sous le coup du désastre et de l’invasion, le 8 février 1871, la France se trouvait devant une table rase. Plus de gouvernement. Toutes les doctrines, toutes les théories pouvaient prétendre au même succès. Comme dans une course bien réglée, tous les systèmes partaient du même alignement. Jamais le pouvoir constituant du peuple souverain n’avait eu à s’exercer dans des conditions aussi pures. Jamais sa détermination n’avait été aussi libre. Cependant ce ne fut pas sur la question de savoir quelle serait la nature ou la forme du gouvernement que vota la France. Ce fut sur la paix et sur la guerre : l’obsession du présent emportait le souci de l’avenir. Et sur cette alternative essentielle, guerre à outrance ou liqui-