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parti républicain suscité par les échecs du régime impérial. Pas d’armements, pas de casernes. Fraternité avec les nations : tel serait le moyen d’éviter les guerres. Si de nouveaux États s’étaient formés, si des puissances avaient grandi, il ne fallait pas les provoquer par des précautions injurieuses. Il fallait seulement leur ouvrir les bras. Ainsi le risque de guerre serait écarté et l’harmonie de l’Europe assurée. Cette suprême illusion fut celle où se réfugia la doctrine démocratique. Elle conduisit les républicains, dont le groupe avait grossi au Corps Législatif, à combattre les mesures, déjà bien tardives, qui eussent donné à la France les forces militaires indispensables pour tenir tête à l’agression que préparait Bismarck et que nos observateurs, Stoffel à Berlin, Rothan à Francfort, Ducrot à Strasbourg, ne cessaient d’annoncer.

Il fallait préparer la guerre ou tâcher de la conjurer si on ne la préparait pas. Le gouvernement impérial la laissa venir avec la résignation et le fatalisme d’un pouvoir désemparé. L’idée à laquelle Napoléon III avait dû son trône avait fait banqueroute. Pouvait-il l’avouer ? Pouvait-il en convenir ? La politique des nationalités et de la justice internationale, que les régimes précédents n’avaient pas voulu suivre, il l’avait tirée de l’abstraction. En la faisant entrer dans les faits, en l’introduisant dans les réalités européennes, il avait produit des conséquences bien différentes de celle qu’il escomptait. Une politique destinée en principe à apporter la revanche de Waterloo n’avait réussi qu’à nous laisser isolés en Europe, en face d’un État prussien redoutable qui entraînait l’Allemagne avec lui. Entourée d’hostilité et de méfiance, il eût fallu que la France suivît alors une politique encore plus modérée et plus prudente que celle de Louis-Philippe. Il aurait fallu filer doux jusqu’à ce que la situation fût réparée, jusqu’à ce que nous eussions noué des alliances sûres, reconstitué discrètement nos forces militaires. Cela, l’Empire ne le pouvait pas, même si Bismarck lui en eût laissé le temps. Il le pouvait moins que tout autre régime, car, avec la justice pour les nationalités, il avait promis de la gloire pour la France. Il était obligé de parler haut comme s’il eût été encore l’arbitre de l’Europe. C’est ainsi qu’au mois de juillet 1870 il alla donner droit dans le piège que Bismarck lui tendait.