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pouvait grandir sans faire sauter les vieilles barrières. Par là, Bismarck ne l’ignorait pas, il rallierait l’Allemagne libérale, le succès aidant. Et puis, il nous connaissait bien. Il savait que le fracas de trônes abattus qui accompagnait ces commencements de l’unité allemande serait agréable à l’opinion française.

Combien y avait-il alors de Français à penser que ces petites Cours, exilées ou vassalisées par les Prussiens, avaient longtemps formé un rempart qui serait amèrement regretté un jour On ne voyait pas la sécurité qu’elles valaient à la France en tenant l’Allemagne divisée. Mais le public français était surtout sensible au caractère archaïque de ces institutions, jadis protégées par notre pays dans son intérêt le mieux entendu. Au nom de l’évolution et du droit des peuples, le progrès condamnait ce passé. Et Bismarck, durant son ambassade à Paris, avait très bien su exploiter cette disposition. Nul ne faisait mieux rire aux dépens de la vieille Allemagne. « On se divertissait, a écrit un témoin, du tableau qu’il faisait des cours allemandes, raillant l’étroitesse de vues qui y régnait, et l’on ne protestait pas lorsqu’il démontrait la nécessité de les supprimer comme un rouage embarrassant pour le développement des idées modernes. »

La France, en 1866, a crié : « bon débarras » à ce vieux particularisme allemand rossé par la Prusse : nous paierions cher pour le ressusciter aujourd’hui, et nous saluerons avec plaisir sa renaissance. Mais alors il avait paru plaisant que ces vestiges d’un autre âge eussent été balayés si énergiquement par le Prussien, champion des « idées modernes ». Deux hommes d’esprit saisirent ce comique, et la Grande Duchesse de Gerolstein eut un immense succès de rire. Le général Boum, le baron Grog, l’électeur de Steis-Stein-Steis, tout ce que Bismarck venait de mettre en déroute chanta et dansa, pour le grand amusement de Paris et des provinces, sur la scène des Variétés. Sadowa devenait un opéra-bouffe, tandis que déjà Bismarck avait signé des conventions militaires secrètes avec les États du Sud, battus mais subjugués. La Grande Duchesse de Gerolstein, c’était la circulaire Lavalette mise en musique