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fait des événements qui venaient de s’accomplir en Allemagne. Lavalette, successeur par intérim de Drouyn de Lhuys, a laissé son nom attaché à cette incroyable circulaire par laquelle l’Empire faisait savoir à l’Europe qu’il y avait lieu de regarder les victoires de la Prusse comme un bienfait. Tout ce qui s’était passé, le gouvernement impérial l’approuvait. Même il l’avait voulu. Les peuples allemands avaient fait un large pas vers leur unité : c’était la politique des « grandes agglomérations » qui se réalisait, celle que Napoléon Ier avait conçue, celle que Napoléon III s’était fixée pour but. La circulaire Lavalette disait encore qu’il eût été indigne de la France d’être jalouse de voisins qui jouiraient comme elle-même des avantages et des joies de la vie commune. Les traités de 1815, dont la France souhaitait l’abolition, n’existaient plus. Les barrières artificielles élevées par les diplomates réactionnaires de Vienne étaient renversées. Les vœux des peuples s’exauçaient. C’était un gage de progrès pacifique pour l’Europe…

Dans cette Europe, dès lors menacée du fléau de la guerre générale, vouée à la grande guerre des nations armées, ce qu’il y avait d’esprits perspicaces et d’amis de la France fut consterné de cette aberration. La reine de Hollande, s’autorisant d’une ancienne amitié, avait montré à Napoléon III l’étendue de sa faute. « Vous laissez détruire les faibles », lui disait-elle. Et elle lui annonçait les effets d’une politique qui mettait en danger les États secondaires, non seulement d’Allemagne, mais d’ailleurs. Les petits ont souvent plus de clairvoyance que les grands, et c’était la première fois que la France abandonnait les faibles et permettait aux plus voraces de s’arrondir. Le sort de la Belgique était déjà inscrit dans cette victoire prussienne remportée par l’abstention de la France. La dynastie guelfe renversée, le royaume de Hanovre annexé montraient aussi le cas que la Prusse faisait de la légitimité elle-même. Bismarck, d’ailleurs avec intention, accentuait ce caractère révolutionnaire de son entreprise. Il en appelait au suffrage universel contre la Diète des princes et les traités de 1815. Il appliquait en somme à l’Allemagne la politique de Napoléon III : ce qui ne valait rien pour une puissance ancienne comme la France, qui avait avant tout sa situation à conserver, était excellent, au contraire, pour la Prusse qui ne