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garants de l’« immense effet que produirait une démonstration hardie de la France ». Leurs propositions ne furent même pas écoutées.

Ainsi, des Allemands nous ouvraient les portes de leur pays, nous suppliaient d’y montrer nos couleurs. À l’intérieur même de l’Allemagne, des alliances s’offraient à nous. La situation qui, pendant la guerre de Trente ans, avait permis à la France d’en finir avec la maison d’Autriche, se représentait contre la maison de Prusse. Encore quelques mois et tout serait transformé. L’Allemagne entière, unie et réconciliée par le triomphe de Bismarck, ne songerait plus qu’à se ruer sur la France.

Dans la nuit du 5 au 6 juillet, Napoléon III avait donc renoncé à une chance suprême. Il avait écarté cette idée d’une intervention militaire dont Drouyn de Lhuys croyait l’avoir convaincu. De même, quelques jours plus tard, il devait rejeter le projet du Congrès européen mis en avant par une illumination aussi juste que passagère du chancelier russe Gortchakof. Rien n’eût été plus désagréable ni plus inquiétant pour la Prusse que de voir l’Europe en corps reviser ses conquêtes. Aussi Bismarck s’empressa-t-il de déclarer « séduisante » la médiation proposée par Napoléon III et qui laissait la France seule en face de lui. Dans le tête-à-tête, il reprendrait la conversation de Biarritz, bien décidé à ne tenir aucune de ses promesses. L’empereur avait eu l’imprudence de ne pas s’emparer d’un gage au moment où l’armée prussienne était occupée en Bohême : il s’imaginait que la Prusse lui accorderait, de bon gré, un dédommagement, une prime à sa neutralité. Comme l’unité italienne lui avait valu la Savoie et Nice, il voyait l’unité allemande lui rapportant la rive gauche du Rhin, ou, à défaut, la Belgique, que le « parti du mouvement », en 1830, demandait déjà. Car la Belgique ne représentait ni une nationalité ni une race : elle n’était qu’une nation, et, par conséquent, aux yeux de la doctrine, elle ne comptait pas. La nationalité allemande, au contraire, avait tous les titres à l’existence. Impie qui eût voulu l’empêcher d’être. Et ce crime contre le droit des peuples, Napoléon III se félicitait publiquement de ne pas l’avoir commis.

Dans le plus extraordinaire des documents politiques que l’on connaisse, il fit expliquer les raisons qu’il avait d’être satis-