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hostiles à cette guerre. Bismarck en était réduit à gouverner contre la Chambre et par la dictature. Car la Prusse, malgré son système des trois classes, malgré ce vieux régime électoral censitaire qui a subsisté jusqu’à nos jours, et auquel Guillaume II, dans son message de Pâques de 1917, a promis de substituer le suffrage égal, nommait alors une majorité de libéraux. La Prusse de 1866 était libérale et antibismarckienne. Sans la victoire, Bismarck s’exposait à une révolution qui l’eût lapidé. Il le savait si bien qu’il était prêt à se brûler la cervelle si la journée de Sadowa n’avait pas tourné favorablement.

Ainsi, dans cette année décisive, toutes les conditions requises pour l’écrasement du militarisme prussien se trouvaient réunies comme déjà elles l’avaient été en 1850. Aucune des circonstances rêvées par les alliés depuis 1914 ne manquait. Le particularisme conservateur était ligué avec le libéralisme allemand contre la Prusse. Autrichiens, Bavarois, Hanovriens, Saxons partaient en guerre contre elle. Au-dehors, l’Angleterre et la Russie, au nom du droit de garantie que leur donnaient, comme à nous, les traités de 1815, étaient disposées à faire respecter le statu quo. Mais la France ne bougeait pas. Et son immobilité perdit tout.

Pourtant, si, avant le « coup de tonnerre » de Sadowa, la situation était unique, après Sadowa elle était encore excellente. L’action militaire, que Drouyn de Lhuys voulut seulement alors, pouvait se faire sentir avec efficacité. L’Autriche, dont l’énorme faute avait été de s’entêter sur la Vénétie, venait enfin de céder cette province aux Italiens. L’excellente armée autrichienne qui avait été victorieuse à Custozza était libérée. Avec notre concours, la face des choses militaires pouvait encore être changée. Les États du Sud se tournaient anxieusement vers nous. Le Hessois Dalwigh et le Bavarois von der Pfordten sollicitaient un appui et nous faisaient des ouvertures qui furent étrangement traitées d’ « excitations », et auxquelles un de nos agents diplomatiques, Lefèvre de Behaine, se félicitait, dans un rapport, d’avoir « constamment évité de répondre », conformément à ses instructions. Ces Allemands nous suppliaient pourtant d’ « entrer sans délai dans le Palatinat et la Hesse rhénane », assurant que « nous n’y trouverions ni haines ni préjugés nationaux très difficiles à surmonter », et se portant