politique française et du bon sens qu’il appliquait à la situation avec un rare bonheur. En attendant que le désastre de 1870 lui donnât raison et lui conférât dans le pays un prestige immense, sa parole, pourtant lumineuse, restait sans action sur l’opinion publique. Ces vues de haute politique passaient par-dessus les têtes, et Thiers ne pouvait se flatter de dissiper en quelques discours les illusions qu’avait contribué à répandre son Histoire du Consulat et de l’Empire, livre cher à la bourgeoisie.
Quant à Drouyn de Lhuys, à la nouvelle de Sadowa, il avait vu comme Thiers le péril de l’unité allemande. Comme à l’orateur du Corps Législatif, les intérêts de la France lui parurent « indignement compromis » si cette puissance germanique, que les Français avaient dû combattre jadis pendant un siècle et demi quand elle appartenait à la maison d’Autriche, devait se reconstituer par la maison de Prusse. Drouyn de Lhuys aperçut alors ce qu’il y avait à faire pour conjurer le péril, et l’évidence était telle qu’il ne pensa même pas que son maître dût y résister.
De toutes les hypothèses que les esprits raisonnables pouvaient former, celle où la France, si forte encore, assisterait impassible à l’accomplissement des plans prussiens semblait en effet la plus absurde et la moins acceptable. Seul, Bismarck, qui, depuis la guerre de Crimée, avait pénétré le secret de la politique napoléonienne, osa compter sur le cas qui semblait d’avance exclu par le sens commun. En provoquant la rupture du pacte fédéral, Bismarck jouait gros jeu. C’était la guerre avec l’Autriche et les États allemands. C’était un conflit avec les puissances garantes de la Confédération germanique. Représentons-nous cette situation, si extraordinaire quand on l’évoque aujourd’hui, et d’où une Europe nouvelle allait sortir. Au printemps de 1866, le militarisme prussien avait contre lui, avec l’Autriche, les royaumes, principautés et villes libres d’Allemagne. En Prusse même, l’audacieux ministre était loin d’avoir fait l’unanimité. Les libéraux prussiens étaient nationalistes. Ils voulaient l’unité et la grande patrie allemande. Mais ils les voulaient par les moyens du libéralisme, selon les traditions du Parlement de Francfort, et ils étaient résolument