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tout allait périr. Chaque fois, cependant, les périodes de calamités publiques, d’obscurcissement de l’esprit humain, ont été suivies d’une rapide renaissance, car il serait faux de ne compter dans l’histoire qu’une renaissance. Le moyen âge, si troublé, en a vu au moins deux ou trois.

La grande faculté de la France, une de ses facultés maîtresses, aurait dit Taine, c’est de reconstituer sans cesse une classe moyenne qui, elle-même, engendre toutes les aristocraties. À la base se trouve une race paysanne, ancienne et dure, qui crée constamment de la richesse et qui, par la plus réelle des richesses, celle du sol fécondé par le travail, s’élève constamment. Un vieux proverbe de la noblesse française disait : « Nous venons tous de la charrue. » C’est encore vrai de nos jours pour toutes nos espèces d’aristocratie, y compris celle de l’intelligence. Vingt millions de paysans forment l’humus dont se nourrit sans cesse ce qui fait la France. Vingt millions de paysans qui ont deux passions, celle de l’épargne et celle de l’ordre, sont les garanties de toutes nos renaissances. Quelles que soient nos plaies financières, politiques ou sociales, on peut compter que le paysan français, par son labeur aussi régulier qu’opiniâtre, rétablira l’équilibre et aura raison de tout.

Un penseur du dix-neuvième siècle, Bonald, un de ceux qu’Auguste Comte, avec une tendre familiarité, appelait « les dignes rétrogrades », — Bonald a dit après la Révolution : « La France, premier-né de la civilisation européenne, sera la première à renaître à l’ordre ou à périr. » Dans les convulsions engendrées par la guerre, qui a été une révolution bien plus vaste que l’autre, la France a fait preuve d’une stabilité qui n’a été dépassée nulle part. Renaître à l’ordre ? Bonald, ce jour-là, voyait en noir. Les Français naissent avec l’idée de l’ordre. C’est pourquoi, si la civilisation devait s’éteindre, vaciller ou languir ailleurs, c’est en France, et j’ajouterai dans les pays qui sont les plus voisins de la France et qui lui ressemblent le plus, qu’elle se perpétuerait…

Nous avons commencé en cherchant une définition littérale et pour ainsi dire grammaticale de la civilisation, et nous ne l’avons pas trouvée. Nous finirons en donnant une définition philosophique. Elle est d’un homme dont la pensée, l’action et