Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour décider d’une guerre dont les répercussions devaient être immenses.

Un homme dont l’obstination a suffi à précipiter le cours de l’histoire devrait bien y laisser son nom. Retenons celui de Stratford Redcliffe. Ce diplomate anglais, qui voulait la guerre, força la main à son gouvernement en poussant les Turcs contre la Russie. Engagée avec l’Angleterre dans les affaires d’Orient, la France suivit. Sans doute, la Russie n’était pas sans torts, mais rien ne rendait un conflit inévitable. La querelle des Lieux-Saints, après avoir traîné de longs mois, était en somme réglée, et très honorablement en ce qui regardait la France. Au dernier moment, lorsque déjà la flotte turque avait été détruite à Sinope, Nicolas Ier offrait encore « une main cordiale » à Napoléon III : ce fut la dernière des longues hésitations par lesquelles avaient passé les deux adversaires avant d’en venir au conflit. Cette main tendue, Napoléon ne la prit pas. Déjà, l’année précédente, quand l’affaire des Lieux-Saints s’était aigrie, et que, malgré l’avis de ses ministres, il avait fait appareiller la flotte de Toulon, il s’était senti approuvé et poussé par le sentiment public. Les catholiques saluaient avec enthousiasme une sorte de croisade pour Jérusalem et contre le schisme grec, d’accord avec les Turcs musulmans. Quant à l’opinion libérale et démocratique, dans toutes ses nuances, elle applaudissait à la guerre contre le tsarisme. Ce qu’elle voyait venir, c’était la guerre qu’elle avait appelée de ses vœux, pour laquelle elle avait renversé deux monarchies, la guerre que Louis-Philippe et les conservateurs de la deuxième République lui avaient refusée, la grande guerre contre l’autocratie et contre la réaction pour le droit des peuples. C’était exactement, et sous les mêmes prétextes, la guerre à laquelle le duc de Broglie, en 1834, avait en vain tenté d’entraîner la Monarchie de Juillet. L’instinct de la France révolutionnaire ne s’y trompait pas c’était bien le commencement d’une ère nouvelle, l’accomplissement de ses désirs. Barbès ce jour-là acclama le chef de la démocratie impériale. Et Michelet, en termes mystiques, célébra l’avènement de la justice dont le dictateur, l’homme de Décembre, se révélant, au fond, l’homme providentiel, se faisait l’ouvrier.

La préface des Femmes de la Révolution est datée du